mardi 14 avril 2015

À la poursuite des gazelles


On dit que le roi Salomon, un jour qu'il était las des prestiges du monde, s'en alla méditer sans femme ni guerrier dans le vaste désert. Or, comme il cheminait à longs pas dans le sable, le front penché, l'esprit paisible,au bout de sa sandale il vit une fourmi. Elle marchait comme lui, elle aussi indifférente à tout, têtue comme au labour, refusant l'abri des cailloux, la halte au frais des herbes rares. Il lui dit:
- Où vas-tu donc, petite sœur ?
Elle lui répondit:
- Grand roi, ne me retarde pas. Je cours où mon âme m'appelle, à la poursuite des gazelles.
- Amie, lui demanda le roi, connais-tu ces bêtes divines ?
- Hélas non, répondit la bestiole pressée, mais j'ai vu leurs ombres passer, et j'en fus tant bouleversée que je ne peux vivre sans elles.
Le roi des rois s'agenouilla, la prit sur le bout de son doigt, sourit, lui dit enfin :
- Comment peux-tu rêver en rejoindre une ? Elles vont droit comme l’œil à travers le désert, elles franchissent d'un bond la dune que tu escalades en cent jours.
- Je sais, ô roi des rois, que la raison t'inspire, répondit la fourmi. Mon pas est court, ma vie n'est qu'un jour de la tienne, mon ciel n'est pas plus haut qu'un brin d'herbe naissant. Je ne suis rien, j'aspire à la grâce parfaite, j'avoue que c'est grande folie. Mais qu'importe à mon cœur aimant ? L'espoir me tient, me tire et me pousse, ne me laisse point en repos. Il occupe toute ma vie. Je veux lui obéir sans faute et la mort ne sera rien si elle me prend sur mon chemin, à la poursuite des gazelles.
Henri Gougaud, Paramour

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