mercredi 31 juillet 2019

Piétinements


Longtemps j'ai cru qu'un jour
je possèderais la lumière

mais à force de piétiner dans la boue
les forces défaillent.

Charles Juliet

mardi 30 juillet 2019

Chemin faisan


Hommage à Yves Boisvert

Tu n’as jamais vraiment quitté tes Appalaches
L’Avenir aux os
En témoignent tes haches
Aiguisées aux verbes d’Irlande
D’Angleterre et de France
Trempées dans les eaux
Des pays 
Abénaquis.

La suite
La poésie l’a décidée 
T’a enlevé les mots de la bouche,
Des muscles, des nerfs
Du squelette et des souches
Pour saigner les silences
Qui transpercent
De leurs fers
Les distances
Des étés 
En  fuite.

Puis le pays parcouru
Ses villes
Et ses filles
Montréal 
Coco et son Graal
La poudreuse des sèves avortées 
Le mal de dent du pont Jacques Cartier
Trois-Rivières
Le delta sévère
Les collégiennes suspendues à tes lèvres
Et toujours la poésie et les fièvres
D’un maquis de rues.

Dans la fratrie des poètes
Tu as libéré des volières de ton palais
Les corbeaux nourris 
Aux mies de tes cris
Pour qu’ils détachent  les harnais 
Des cieux de la patrie obsolète.

Lug Lavallée

lundi 29 juillet 2019

Traînée brûlante


J'ai appris qu'il y a des amours impossibles, des amours inachevés, des amours qui pouvaient être et n'ont pas été. J'ai appris qu'une traînée brûlante est préférable, même si elle laisse une cicatrice : mieux vaut l'incendie à un cœur en hiver.

Ferzan Ozpetek .

mercredi 24 juillet 2019

Espaces sans espace


Où est l'ombre 
d'un objet appuyé contre le mur ?

Où est l'image
d'un miroir appuyé contre la nuit ?

Où est la vie
d'une créature appuyée contre elle-même ?

Où est l'empire
d'un homme appuyé contre la mort ?

Où est la lumière
d'un dieu appuyé sur le néant ?

Dans ces espaces sans espaces
est peut-être ce que nous cherchons.

Roberto Juarroz

mardi 23 juillet 2019

Le cheval inventait sa race


Variante sur un vers de Hénault

Du chuchotement des steppes d’Asie centrale
Où tu fus, tour à tour, cavalier et voyant
Le Maître incontesté de la terre et du vent
Des sources d’eau, du feu et du soleil levant
Ignorais-tu l’horizon, l’autre continent,
Des races différentes, les visages pâles ?

Chez les Yakoutes ta peau devint dialogue
Entre les hommes et leurs dieux aux trots du cœur
Tambours de pluie, de tonnerre et de frayeurs
Ils t’ont parqué dans le corral d’un Décalogue.
À Haïti, l’homme devient cheval  quand les loas
Le chevauchent, lui dictant les anciennes lois.

Le cheval inventait sa race 
Et croyant effacer ses traces,
Celles des servitudes au temps de Gengis Khan,
Il oubliait Attila, les Huns puis la chute de Rome.
Ignorant encore qu’en Amérique
 Seuls, les bisons avaient survécu à ses ancêtres
Disparus entre Paléolithique et Néolithique.

Le cheval inventait sa race
Une race coagulée dans le sang,
Aux ombilics de fils d’argent
Dérobés aux oboles des lunes de minuit.
Une race qui oubliait l’Ibérie et la France
Et les cavalcades des guerriers thraces.

 Dans ton cœur conçu pour les grands espaces,
Savais-tu que tu servirais de monture aux conquistadors?
Pressentais-tu l’immense déchirure
 Dans le ciel de Tenochtitlan,
L’effroi dans les regards
Les tiens et ceux des grands prêtres de Moctezuma
Convaincus du retour du Dieu serpent ?
À ton insu, tu renouais avec le goût du sang 
Et la folie des hommes.

Plus tard, traversant le Rio Grande
Le cheval donna naissance à une race infâme
Aussi Apaches et Navaho l’adoptèrent 
Dans l’espoir d’allonger la crinière de leurs déserts.
Puis balayant la poussière des Plaines
 Faisant écran à la vision de La Femme Bison
Il allait conquérir le Nord 
Avec sa race de métis et de bâtisseurs,
De nomades aimants des grands espaces,
De sédentaires aux regards apaisés de pacages.

Mais le cheval domestiqué ignorait-il son déclin?
Aurait-il renié sa race
S’il avait su tous les arbres abattus 
Pendus à l’horizontal 
D’un océan à l’autre
Et qu’il serait remplacé dans cette nouvelle déchirure du ciel
Par le bruit et la fureur du train
Création d’une race de vitesse aux veines
Qu’il serait relégué à l’oubli
Avec l’avènement des chevaux de métal
Et des Pégases d’acier sillonnant le ciel
Effrayé comme jadis le furent les Aztèques ?

Mustang, marron dans le ciel bleu et les cheveux ocre des Prairies,
Amené pour le sang et l’argent de l’Eldorado et du soleil couchant,
Après les basiliques construites sur les puits des déesses,
Après les silences de Pacha Mama, de Coatlicue
Et d’Estsanatlehi, la Mère des changements chez  les Navahos,
Tu redevins sauvage,
Tu rejoignis les troupeaux de cumulus dans l’or des Plaines.

Appaloosas, révoltés contre le maître blanc,
Adoptés par les Nez-percés
Dans une commune réduction du ciel et du territoire de rêve,
Canadiens de selle rivés à la culture des champs en Nouvelle-France,
Cherokees intimement liés à la résistance contre l’ordre yankee
Vos muettes colères hantent les ronronnements des turbines et des échines.

Chevaux, bientôt, vous reprendrez du service
Cheval blanc à l’appel du Premier des Quatre Vivants,
Cheval rouge feu au service du cavalier venu bannir la paix,
Cheval noir du Jugement et de la Justice,
Cheval vert de marécage monté par la Mort
Suivi d’Hadès venu récolter la moisson de la putréfaction.

Maintenant dans les yeux toujours  effarouchés du cheval 
L’approche croissante du galop 
Des montures de la fin des climats et du Temps!

Lug Lavallée

lundi 22 juillet 2019

Joyeux âne y versèrent...


Cela fait 5 ans aujourd'hui, jour pour jour, que le blogue "la joie d'être un âne" est venu au monde. Il rassemble aujourd'hui 1500 textes de toutes provenances. Je remercie tout particulièrement les personnes qui ont contribué à l'enrichir en y publiant des textes inédits...


Pour célébrer ce moment d'émotion rétrospective, je vous offre la dernière version d'un de mes textes préférés, bien sûr dédié à l'âne qui hante ce blogue :

Voici l'âne atone tant il trouve la vie monotone. Son ami l'Anatole n'arrive plus à le faire rire, et même la plus jolie des anatomies le laisse indifférent. Finira-t-il anachorète ? Non, car l'âne sans analogie a sa logique qui n'est pas la notre...

Mais voilà donc qu'il est sans voix à force de crier "vive l'âne Archie !". 

Il ne reste qu'à envoyer l'âne au Mali où il trouvera du réconfort auprès de l'âne à Lise. Ce qui lui vaudra ce conseil qui, sans âne au logis, ne saurait être anodin : ô âne aphone, garde-toi de l'anathème ! Mais surtout, donc, joyeux anniversaire, âne animé mais non anonyme qui, sans anesthésie ni anamnèse anaphylactique, répand ta joie anagogique ! 

vendredi 19 juillet 2019

Portion d'éternité

Nu avec écharpe jaune - Egon Schiele

Le corps nu de la femme est une portion d'éternité trop grande pour l'oeil de l'homme.

William Blake

jeudi 18 juillet 2019

Vie intérieure


J’apprenais que la poésie est un acte, 
une incantation, 
un baiser de paix, 
une médecine.

J’apprenais que la poésie est une des rares choses au monde 
qui puisse l’emporter sur le froid et la haine. 
On ne m’avait pas appris cela.

*

Toujours cette liaison de la lumière et de la joie, cette identité : 
c’est le fait central, constitutif de mon expérience. (...)
Mes amis eux-mêmes s’y trompent souvent : 
ils ne savent pas ce que je dis quand je dis : « lumière ». (...)
Quand je dis « lumière », je ne songe pas aux objets lumineux, 
au tourbillon de reflets et d’oscillations qui forme l’univers visuel. 
Je songe à la source, qui, elle, est au-dedans »

*

Bref, dans ce monde qui secoue contre mes oreilles tous ses règlements et toutes ses ferrailles, 
dans le monde qui chaque jour m’apporte de plus grandes connaissances, des légumes plus grands, des armées plus grandes, 
j’ai besoin de nourriture, j’ai faim. 
J’ai faim d’une chose qui ne diminuerait pas et ne grandirait pas, 
d’une chose qui simplement n’aurait pas de fin. 
Cette chose- là, faute d’autre mot, je l’appellerai la vie intérieure.

Jacques Lusseyran, Le monde commence aujourd’hui.

mardi 16 juillet 2019

Les chiens et les élégantes


Les chiens des petits mesdames et messieurs
De Saint-Lambert et autres villes de  bourgeois 
Qui ignorent Brel et sa chanson Les cochons
Ont droit à d’extraordinaires attentions
Auxquelles la meute des pauvres aux abois
Ne flairera jamais l’odeur sous ces cieux.

Ces canins bénis de Saint-Lambert et d’ailleurs
Aux petits soins vous toisent, bavant d’arrogance
Grands gagnants au loto des réincarnations
Loin des gamins privés de l’os  d’une passion
Qui jamais ne goûteront aux biscuits d’abondance
 Mômes aux yeux éteints et au cœur plein de peurs.

Chiens bercés dans  les confidences, les câlins
Maîtres des regards domestiques de leurs maîtresses
Idiotes qui ne font que parader leur aisance
Idiots, esclaves d’une sotte bienveillance
Qui jamais n’humeront un effluve de détresse
Sauf si leur canin requiert un psy ou un bain.

Et moi  dans cette marche invalide à l’amour
Tâche qui soulève l’ire des élégantes
Une ride sur l’horizon, un déclassé
L’intrus pour leurs chiens  soudainement menacés
Un inversé  dans des solitudes démentes
Mais un cerbère qui les attend au détour.

Lug Lavallée

lundi 15 juillet 2019

Intérieur de l'âme


L'œil de l'esprit ne peut trouver nulle part plus d'éblouissements ni plus de ténèbres que dans l'homme ; il ne peut se fixer sur aucune chose qui soit plus redoutable, plus compliquée, plus mystérieuse et plus infinie. Il y a un spectacle plus grand que la mer, c'est le ciel ; il y a un spectacle plus grand que le ciel, c'est l'intérieur de l'âme.

Victor Hugo

jeudi 11 juillet 2019

Si je suis tout ce que j'ai aimé


Si je suis tout ce que j'ai aimé
Écoutant Nights in White Satin
Le cœur comme un gong
Répondant aux vibrations des étoiles
Par une nuit de plénitude d'août
De l'année mille neuf cent soixante sept 
Devant le bassin de La Ronde
Où donc se rend l'âme des ondes?

Si je suis tout ce que j'ai aimé
Écoutant White Rabbit
Les  stolons des sens 
Courant dans la nudité du désert
Et du couchant psychédélique californien
La voix quittant les grottes gutturales 
Une cascade qui remonte le cours du ciel
Et retire ses vêtements de miel.

Si je suis tout ce que j'ai aimé
Écoutant Hurdy Gurdy Man
Les épées aux milles couleurs de Vishnou
Émergeant des diamants de l'aura
Iles lacustres des bienheureux
Ragas de fleurs jamais fanées
Dans le bleu Krishna de tes yeux
Un vœu logé dans chaque dieu.

Si je suis tout ce que j’ai aimé
Écoutant Hey Joe
Les yeux conçus pour la liberté
De Londres à San Francisco
Fuyant la potence et ses lois
Pour l’amour des filles et de la zizique
Tout nu sur le sol et sur le do
L’âme comme un desperado.

Si je suis tout ce que j'ai aimé
Écoutant Suzie Q 
L'hypnotique mantra des bayous
Les violets des nuits d'encre
Les oboles remplies du sang de la lune
Dans les pupilles des marécages
Et celles des grenouilles, des caïmans,
Des quenouilles et des serpents.

Si je suis tout ce que j’ai aimé
Écoutant On the Road Again
Avec mes rêves d’Eldorado
De coureur de bois et de hobo
Enfant de rivières, de montagnes,
De forêts et de plaines
Traînant ma vérité comme un apôtre
Sans hargne d’un océan à l’autre.

Si je suis tout ce que j'ai aimé
Écoutant Sunday Morning
L'éclectique et le psychédélique Warhol
Derrière les vitrines des gratte-ciels de Manhattan
Aux yeux de mouches et de fourmis
Et la voix sulfureuse de Nico
Sirène de l'héroïne et des barbituriques
Walkyrie égarée en Amérique.

Si je suis tout ce que j'ai aimé
Écoutant The End
Une plume de quetzal
Balayant la Côte Ouest
Et l'esprit du peyotl
Et des sages navahos
Fleurissant comme un cactus ardent
Dans la tête d'un poète de dix-sept ans.

Si je suis tout ce que j'ai aimé
Alors le cœur du futur
Bat la mesure 
De toutes les musiques qui l'ont vu fleurir.

Lug Lavallée

mercredi 10 juillet 2019

Féminin

J'appelle féminin cette qualité que la femme réveille au cœur de l’homme, cette corde qui vibre à son approche.

J’appelle féminin le pardon des offenses, le geste de rengainer l’épée lorsque l’adversaire est au sol, l’émotion qu’il y a à s’incliner.

J’appelle féminin l’oreille tendue vers l’au-delà des mots, l’attention qui flotte à la rencontre du sens, le palpe et l’enrobe.

J’appelle féminin l’instinct qui, au-delà des opinions et des factions, flaire le rêve commun.

Christiane Singer

mardi 9 juillet 2019

Nuit d'exil


L’exil
Nous allège de tout
Il nous déshabille entièrement
Il commence par effacer nos noms
Avant de camoufler nos âges
De zébrer nos réminiscences
Et d’incendier nos racines

L’exil
Il engloutie la mémoire
Et nous expose à l’errance
Il nous dévie de nos voies 
Nous détourne de nos liens
Nous absente de nos lieux
Et de nous-mêmes

Au bout de soi
Que reste-t-il ?
Un déraciné qui se ressaisit
Comme dans un rêve
Quel est ton nom ?
Moi ?
Eeuh !

Je suis celui qui renaît de ces cendres
Je retrouve mon nom et habille mon âge
Je suis celui qui reprend son souffle
celui qui reprend vie
J’arrive

Je suis celui qui prend pays
Celui qui choisit sa maison et ses voisins
Je suis celui qui rentre dans sa marche
Épouse son pas et se recommence 
Sans cesse

Je suis le libéré.

Jeanne-Marie Rugira - Décembre 2014


lundi 8 juillet 2019

Regarder la mer


Je reste des heures, sans bouger simplement à regarder la mer, à écouter les coups des vagues, à goûter au sel jeté par les rafales de vent. Ici, il me semble qu'il n'y a rien de tragique.

Jean-Marie Gustave Le Clezio

dimanche 7 juillet 2019

Accouchement de l'âme

S’il y a une âme, c’est une erreur de croire qu’elle nous est donnée toute créée. Elle se crée ici, à longueur de vie. Et vivre n’est rien d’autre que ce long et torturant accouchement.

Albert Camus

samedi 6 juillet 2019

Éblouissement


Que meurent que crèvent LES POÈTES pour que LA POÉSIE soit langue d'échange entre des ÊTRES inventés CE MATIN dans la SARDANE DES SANGS ALIÉNÉS, dans l'ÉBLOUISSEMENT DU CORPS RECONQUIS deux mille ans après que le Nazaréen ait rendu le dernier souffle.

André Laude

vendredi 5 juillet 2019

Épuisement de la vérité


La vérité vient de si loin pour nous atteindre que,lorsqu'elle arrive près de nous, elle est épuisée et n'a presque plus rien a nous dire. Ce presque rien est un trésor.

Christian Bobin

jeudi 4 juillet 2019

Comme scie

Comme si
                  Cette vie n’avait été qu’un mauvais rêve
                  Un pèlerinage vers des oasis d’illusions
                   Quelques trêves dans des jardins d’hallucinations
                   Inanimés tous ces visages aimés?
                   Éventrées ces étreintes de dieux noyés?

Comme si 
                  C’était aujourd’hui que je m’éveillais
                  Maintenant qu’il n’y a plus rien
                  Tout juste un peu de sable fuyant le sablier des mains
                  Un cri émigré devant la route de ma voix
                  Brisant le cendrier rempli des couleurs de l’horizon

Comme si
                  Tous les mots dits étaient dorénavant maudits
                  Les traces de mes pas à jamais effacées
                  Les pays habités des îles évaporées
                  Mon père le plus proche des étrangers
                  Et ma mère une pierre au fond de la mer

Comme si
                  Quelqu’un ou quelque chose avait scié
                  La pomme de la gorge des vents et du souffle
                  Où se termine l’inspiration et où débute l’expiration
                  Où les feuilles peu à peu vident la mémoire des arbres
                  Là où se taisent les dernières percussions des yeux

Comme si 
                  Les chiens, les enfants et les chats
                  Toujours tendaient de fragiles passerelles
                  Aux linceuls de nos âmes fantomatiques
                  Les invitant à traverser sur les os  le sang solaire des océans
                  À revêtir d’habits de brumes les squelettes de nos peurs étranglées

Lug Lavallée

mercredi 3 juillet 2019

La poésie est inadmissible


La poésie est inadmissible. Seule la voyance demeure permise dans ce monde de barbelés de magnétos qui tournent inlassables le jour et la nuit tandis que les mathématiciens les ingénieurs étudient les possibilités d'accélérer les cadences, tandis que les philosophes s'épuisent à couvrir de leur ombre puante le fonctionnement de la machine.

André Laude

mardi 2 juillet 2019

Traversée


La traversée est le lieu de l'incertitude, de la non évidence, de l'étrangeté.

Edouard Glissant

lundi 1 juillet 2019

Force étrange


Laissez-vous silencieusement attirer par la force étrange de ce que vous aimez vraiment. Elle ne pourra pas vous égarer. 

Rûmi