mardi 23 mars 2021

Clin d’œil à Prévert en passant le temps


Mais oui da
Ouïe dada
Rien de plus aisé
Que de passer le temps
Cher Jacquot
Lapin de Paris
Dans les prés verts
Les prés vers
Sur un air de Kosma
Avant que ne disparaisse
Mon temps
À Montmartre
Avec Arletty
Et les pigeons
Ne pigeons pas
De quoi demain sera fait.
Mais ce temps qui passe
Cher Jacquot la Lune
Baïle des chiens et des chats
Et pourquoi pas des Petits Princes
De seins d’Héspéries
Emportant avec toi
Dans un désert trop blanc
Toutes les couleurs du jour
Exaspéré et exsangue
Du don de ses baisers
Aux mains maladroites
D’être encore palmées
Dans leur persistant manque d’imagination
Mais ce temps qui passe
D’outres en outre
Dans une tristesse animale
Ce temps qui passe
Et qui nous casse
Qui nous tasse
Pour un carré d’as
Nous lasse
Tant il sasse
Outrepasse
Lui répond
Le trou noir
Dans un Écho
Narcissique.

Lug

mercredi 17 mars 2021

Minutes obscures


Lumière de ce jour,
je viens du fond des temps.
Respecte avec douceur
mes minutes obscures,
épargne encore un peu
ce que j’ai de nocturne,
d’étoiles en dedans
et de prêt à mourir
sous le soleil montant
qui ne sait que grandir

Jules Supervielle

Chemin sans fin


Je viens de cette âme qui est à l'origine de toutes les âmes.
Je suis de cette ville qui est la ville de ceux qui sont sans ville.
Le chemin de cette ville n'a pas de fin.
Va, perds tout ce que tu as, c'est cela qui est le tout.

Rûmi

samedi 6 mars 2021

Quand on est jamais allé « Nulle Part »


Quand on est jamais allé « Nulle Part »

Un jour ce non-lieu nous interpelle

Est-ce aller « au diable vert »

Comme disait mon père

Et combien coûte un billet pour « Nulle Part »

Où se le procurer

Je déambule sur les quais d’une petite gare sans nom

Derrière le guichet devinez 

Il n’y a personne

Juste un écriteau où l’on peut lire le mot « Bienvenue »

Dans la salle attenante  quelques « voyageurs » déambulent

De long en large puis dans tous les sens  le regard ailleurs

Sommes nous arrivés ou est-ce le point de départ de ce voyage indéfini

Au son d’un klaxon du train qui entre en gare tous se figent

Je me précipite à l’extérieur 

Un long train bleu qui n’en finit pas de s’immobiliser 

De cracher sa fumée de siffler de s’essouffler sous le poids 

De sa ferraille 

« Nulle part » semble être un long voyage bien fatigant

Ma curiosité ma jeunesse ma témérité me propulsent

Dans le dernier wagon après tout nul ne m’attend

Les autres voyageurs sont maintenant sur le quai

Mais toutes les portes se sont refermées

D’aucun ne peut monter à bord

Seule passagère pour « Nulle Part »


Comme bagage un peu de courage et beaucoup de patience

Mais n’y tenant plus je me dirige vers l’avant du véhicule

Nulle trace de vie aucune présence 

Pas le moindre mouchoir tombé d’une poche 

Ou foulard abandonné 

Ou emprunte sur la cuirette des banquettes

Juste un pur silence et une parfaite immobilité

J’observe les visages de mes « Compagnons » demeurés sur le quai

Ils semblent recueillis indécis aveugles à ma personne

J’approche de la cabine de la locomotive

Le cœur battant je dois l’avouer

Aucun conducteur ni cheminot 

Juste un message sur l’écran du tableau de bord

« Vous êtes arrivée comme Nulle Autre »

Cygne blanc














vendredi 5 mars 2021

Printemps sans fin


Vous cherchez du côté du plus grand… C’est tellement plus simple : j’attends le printemps. Ce que j’appelle le printemps n’est pas affaire de climat ou de saison. Cela peut surgir au plus noir de l’année. C’est même une de ses caractéristiques : Quelque chose qui peut venir à tout moment pour interrompre, briser – et au bout du compte, délivrer.

Le printemps n’est rien de compréhensible – c’est même ce qui lui permet de tenir dans trois fois rien – un bruit, un silence, un rire.

Il se moque de conclure. Il ouvre et ne termine jamais. Il est dans sa nature d’être sans fin.

Ce que j’appelle le printemps ne va pas sans déchirure. C’est une chose douce et brutale. Nous ne devrions pas être surpris de ce mélange. Si nous le sommes, c’est que la vie nous rend distraits. Nous ne faisons pas assez attention.

Si nous regardions bien, si nous regardions calmement, nous serions effrayés par la souveraineté de la moindre pâquerette : elle est là, toute bête, toute jaune. Pour être là, elle a dû traverser des morts et des déserts. Pour être là, toute menue, elle a dû livrer des guerres sans pitié.

Ce que j’appelle le printemps est une chose du même ordre…

Dans le printemps, rien de tranquille ni de gagné d’avance. Lorsqu’il arrive, nous ne nous y retrouvons plus. Presque rien n’a changé et ce presque rien change tout.

Nous nous accoutumons trop vite à ce que nous avons.

Dieu merci, le printemps vient remettre du désordre dans tout ça. Nous découvrons que nous n’avons jamais rien eu à nous, et cette découverte est la chose la plus joyeuse que je connaisse.

Christian Bobin