mercredi 13 août 2014

De l'autre côté des choses

Il n’existe rien de tel comme ce qu’on appelle le réel, sinon la boursouflure d’un œil qui se prend pour le monde. Enraciné dans le souffle du vent, je me tiens de l’autre côté des choses...

3 commentaires:

  1. J’aime ce que C.G.Jung dit ici de la réalité du monde et de la conscience qui "le réalise":
    « Partant de Nairobi, nous visitâmes dans une petite Ford les Athi Plains, grande réserve de gibier. Sur une colline peu élevée, dans cette vaste savane, un spectacle sans pareil nous attendait. Jusqu'à l'horizon le plus lointain nous aperçûmes d'immenses troupeaux : gazelles, antilopes, gnous, zèbres, phacochères, etc. Tout en paissant et remuant leurs têtes, les bêtes des troupeaux avançaient en un cours insensible — à peine percevait-on le cri mélancolique d'un oiseau de proie : c'était le silence du commencement éternel, le monde comme il avait toujours été dans l'état de non-être; car jusqu'à une époque toute récente personne n'était là pour savoir que c'était « ce monde ». Je m'éloignai de mes compagnons jusqu'à les perdre de vue. J'avais le sentiment d'être tout à fait seul. J'étais alors le premier homme qui savait que cela était le monde, et qui par sa connaissance venait, seulement de le créer réellement.
    C'est ici qu'avec une éblouissante clarté, m'apparut la valeur cosmique de la conscience : Quod natura relinquit imperfectum, ars perficit (« Ce que la nature laisse incomplet, l'art le parfait »), est-il dit dans l'alchimie. L'homme, moi, en un acte invisible de création, ai mené le monde à son accomplissement en lui conférant existence objective. On a attribué cet acte au seul créateur, sans prendre garde que, ce faisant, on ravale la vie et l'être, y compris l'âme humaine, à n'être qu'une machine calculée dans ses moindres détails qui continue sur sa lancée, dénuée de, sens, en se conformant à des règles connues d'avance et prédéterminées. Dans la désolation d'un tel mécanisme d'horlogerie, il n'y a plus de drame de l'homme, du monde et de Dieu; plus de « jour nouveau » qui mènerait à des « rives nouvelles », mais simplement le désert de processus calculés d'avance. Mon vieil ami Pueblo me revint en mémoire : il croyait que la raison d'être de ses Pueblos était le devoir qu'ils avaient d'aider leur Père le Soleil à traverser chaque jour le ciel. J'avais envié chez eux cette plénitude de sens et recherché sans espoir notre propre mythe. Maintenant je l'appréhendais, et je savais en outre que l'homme est indispensable à la perfection de la création, que, plus encore, il est lui-même le second créateur du monde; l'homme lui donne pour la première fois l'être objectif — sans lequel, jamais entendu, jamais vu, dévorant silencieusement, enfantant, mourant, hochant la tête pendant des centaines de millions d'années, le monde se déroulerait dans la nuit la plus profonde du non-être pour atteindre une fin indéterminée. La conscience humaine, la première, a créé l'existence objective et la signification et c'est ainsi que l'homme a trouvé sa place indispensable dans le grand processus de l'être. »
    C.G.Jung "Ma vie", chapitre IX : Voyages – Kenya et Ouganda, Éditions Gallimard

    Réel et non réel ? Solve, coagula, solve, coagula. L’alchimie nous enseigne qu’il nous faut volatiliser le fixe et fixer le volatil. Qu’ils sont "chinois", ces alchimistes !

    Amezeg

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    1. Merci ! Je suis très sensible à ce texte aussi, où Jung laisse derrière lui toute psychologie pour toucher à la vision mystique - celle qui laisse finalement muet. Je questionne cependant l'idée d'un "accomplissement du monde" dans l'existence objective que lui confère l'homme, ce "second créateur" - il me semble que cette naissance du monde à lui-même porte en germe encore un autre accomplissement dans lequel l'objectif et le subjectif se révèlent être comme deux faces d'une même... Pierre. Le Rébis de nos chers alchimistes ?

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  2. Oui sans doute, Jean. La chose double, qui d’un côté est "chose" de ce monde et de l’autre ne l’est pas ; qui, réelle et irréelle, témoigne d’une réalité paradoxale tierce naissant de la présence d’un témoin conscient, d’un regard humain sans identification-boursouflure et capable d’embrasser ou d’envisager les deux faces du mystère entier...

    Amezeg

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