Arcabas - La mort |
Odysseas Elytis
Parce que même les téléphones se croient intelligents désormais...
A l'occasion de l'anniversaire le 24 avril de Christian Bobin, qui aurait eu 72 ans :
Hommage à Christian Bobin
Je te lisais
retenant mon souffle
je te lis
séchant mes larmes
dans la chambre
de mes rêves
tu es là
devant la fenêtre
paumes ouvertes
tourterelles mésanges
hirondelles merles
se disputent en pépiements
ta « Présence pure »
quelques rais
de lumière tremblent
sur le papier d’écriture
« Noireclaire »
petite fugue de Bach
des volets pervenches
au bleu poudre des hortensias
un ciel de Matisse
fait la cour
à l’enfant
« Carnet de Soleil »
martèlement
des hauts-fourneaux
tu trempes ta plume
dans l’acier du réel
ton berceau
un obus
enfant dans l’escalier
tu comptes les brins d’herbe
où pousse le silence
une fleur pour une étoile
un nuage pour une pierre
Marceline Anna
Émilie…
sœurs d’âmes
précédant « La plus que vive »
sur les chemins de la liberté
du manque
douceur du requiem de Fauré
Rumi D’Hôtel
Soulage Grosjean…
guerriers de lumière
fidèles à tes côtés
combattant l’imposture
de ceux qui font leur beurre
du malheur de notre société
un mot transparence
à peine une phrase
« La Lumière du Monde »
appel de l’invisible
le petit ange de l’église
du Creusot te dit merci
le chat sauvage le renard roux
le cheval à la crinière blanche
le bébé aux mains de moineau
« Mozart et la pluie »
la neige l’absence le silence
le cœur nu
tu apprivoises
le premier matin du monde
Cygne blanc
Le dernier opus de Christian Bobin est un appel à la résistance...
« Je connais le secret. Je tiens le secret au bout des doigts comme on tient un papillon fragile, entre deux doigts pincés. Il ne faut surtout pas serrer, pas appuyer, pas en dire trop. Le secret, c'est que le cœur de ceux qui meurent explose de joie. »
Antoine de Saint-Exupéry
Puis le rouge de tes lèvres dans l’aube du désir
Le monde recommence émergeant de l’immonde
Aux fraises les premiers visages
Aux pommes leurs ivoires sanguinaires
Aux cerises leurs urgences nocturnes
Le rouge qu’il ne faut pas verser
Seuls les cardinaux peuvent nous picorer le cœur
Sans jamais rien nous enlever
Revêtant nos rêves avec les soieries des roses
L’orangeraie nous réveille
Et au marché des maroquineries
Les mirages vont de peaux en peaux
Pour trouver de l’eau
Sous des soleils qui nous cuivrent
Dans les bois, les parterres et les sentiers
Érythrones, pissenlits, tussilages
Chantent le printemps
Rivalisent avec le soleil borgne
Lui font monter la moutarde des champs au nez
Et il éternue son pollen dans les verdures
Puis dans leur gaine brune les bourgeons
Dégainent dans chaque arbre des vers nouveaux
Les triomphants dénis des nuits d’encre et des hivers blancs
Les étés aux yeux de serpents
Mais à l’envers dans les reflets des arbres dans les lacs
Les algues vertes rêvent du bleu infini du ciel
C’est l’heure de naviguer
De connaître les couleurs de tous les ports
Avant d’être avalé par l’océan
Le grand Léviathan
Et de descendre jusqu’au cœur violet et mystique de la Stella Maris
Précédant le grand tunnel blanc.
Lug
Khalil Gibran
La folie nous arrive comme ça
Par un coup de vent trop fébrile du printemps
Et pollinise des idées de grandeur
Dans des recoins d’étroitesse d’esprit
Qui vont telles des monarques
Butiner dans des chambres à découcher dehors
Avec des sirènes ou des pompiers du troisième type
La folie qui s’éclaire aux soleils des mouches à feu
Quitte la raison comme on laisse la maison des éternels retours
Franchit zébrée le seuil de la prison des invertébrés de la liberté
Et s’aventure en diagonale sur l’échiquier de la vie
Convaincue de la souveraineté de la marge
Où jamais elle ne plantera le mât de l’échec
La folie a des poumons de nimbus et de cumulus
Et des bras qui pendent aux trônes des forêts
Et des mains d’ailes d’hirondelles
Incapables de dérober la beauté du monde
Mais quand elle prend ses jambes à son cou
Elle change de polices et de caractère
Et défie le langage de l’immobiliser
Et elle saute de clôture en faim du monde
Avec ses brebis assoiffées de Voie lactée
La folie est une aquarelliste des grands espaces
Qui n’a pas besoin de pins sots et de cils de chevaux
Elle confond le proche et le lointain
Qui en perdent leurs repères de fauves affamés
Et craignent que la savane de leurs certitudes
Soit avalée par la forêt des inquiétantes étrangetés
Au bout de sa solitude la folie finit par perdre sa raison d’être
Et retourne au bercail des inquisitions
Où elle reçoit son jugement
Et son second baptême
Après la crucifixion de ses vertiges
Et là enfin folle, elle assiste au triomphe de la raison
D’une raison qui tue les fous comme elle déracine les arbres des oiseaux
En son rêve de carré de sable stérile et martial.
Lug
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A noter la parution de "L'Aube métisse", recueil de poèmes de Lug qui nous fait l'honneur de bien souvent alimenter ce blogue :
Emily Dickinson
Alors nourries de silence
Des semences de bienveillance
Dans leur linceul de lumière
Se fraient un chemin dans les champs dorés
Se livrent au temps
Au tumulte des heures
Au courant de vie impétueux
Publient leur existence sans consentement
À nouveau disponibles aux révélations
Lug Lavallée
M'abandonner au grondement
de sa vague de fond
ressac du non-retour
m'aventurer dans l'abyssale dédale
marin
Unique est la vague
unique l'être
uni
Mon fil d'Arianne
me ramène à Montréal
L'air se raréfie
ma bouche s'assèche
ma vue se trouble
j'entends avec peine
ta voix
dans le tumulte des heures
je m'engourdis
Me reste cette odeur de terre
retournée au printemps
Tu es là
une lettre à la main
Ta réponse tremblante
à la mienne
Ne te retourne pas
surtout ne te retourne pas
il n'y a plus de compromis
Tout perdure
Cygne blanc
Poussant les portes de la grande cour
des pigeons s'envolent
puis se déposent ici et là
picorant quelques gravillons
les ultimes miettes d'un frugal festin
Des chats amaigris cherchent
le dernier rayon de soleil
un chien erre sans maître
Ce va et vient
d'un passé au présent
déserté
ils furent nous fûmes
Et cette odeur d'absence
aux rideaux flottants
des fenêtres béantes
des façades lézardées
Visiteuse céleste
la mer s'est retirée
dernier assaut
d'un tremblement perpétuel
Un instant encore
il y a un jardin
des rires
des promeneurs
Ouvrant les portes de la cour voisine
des colombes s'envolent
des enfants accourent
les bras chargés de chatons
mon chien retrouve son maître
Un orgue de barbarie joue
"on écrit sur les murs
la force de nos rêves
Nos espoirs en forme de graffiti
On écrit sur les murs pour que
l'amour se lève
Un beau jour
sur le monde endormi"
Cygne blanc
David Whyte
Roberto Juarroz - Poésie verticale
Miro - triptyque bleu
Bleu comme rivage
Rouge comme dans carnage
L’entremêlement de l’espoir et de la rage
Conflits et tensions
Ukraine et Russie
Sous le ciel, vous l’avez vu aussi
Jonchent des défunts, des gens meurtris
Des victimes de l’ennemi
Comment osez-vous tourner la page ?
Arrêter de courir le long du rivage ?
Viktoriya Zatsarna
L’amour à treize ans
Allonge ses bras, ses soifs et ses mains
Scrute l’opacité de la nuit avec un sonar
Rutile dans des brousses denses en quête d’un léopard
Fixe des rendez-vous païens aux carrefours des chemins
L’amour a toujours vingt ans
Il susurre des oiseaux de feu du bout de ses lèvres
Aux battements de son tambour, il fait vibrer ses tempes
Discourt comme un prêtre troubadour dans son unique temple
Et toujours, suit les rouges à lièvres de ses horizons vierges
L’amour à vingt-six ans
Installe son campement
Multiplie les projets avec ses tentacules de pieuvres
Et cherche à transformer son couple en chef-d’œuvre
Puis glisse d’enchantements en enfantements
L’amour à trente-trois ans
Écartelé à la croisée des sept douleurs
À l’heure atroce et pénible des choix
Hésite entre écouter sa voix et emprunter sa voie
Cherche à distinguer le vrai du faux des anges et démons souffleurs
L’amour à trente-neuf ans
Éclairé par la Grande-Ourse
Bâtit et aménage sa tanière
À même les semences du futur et les rêves d’hier
Pour le bonheur de ses petits oursons
L’amour à quarante-quatre-ans
Se mesure à de nouvelles règles
Démons du midi, appétits inédits
Besoin d’être compris et d’épuiser les non-dits
Pour retrouver la fraîcheur des bonheurs espiègles
L’amour à cinquante-deux ans
Reprend son baluchon
Et pense à retourner chez soi
Après avoir beaucoup pensé, beaucoup erré
Joué au cochon avec des nichons
Cesse d’être affairé et conçoit un amour éclairé
L’amour toujours reste jeune et vieillit bien
Lug 20-02-2022
Christiane Singer
Te souviens-tu des balançoires
qui nous soulevaient les pieds jusqu'au ciel
la chevelure dans la ramée des arbres
la tête renversée par les élans telluriques
Juste pour te plaire
je mangeais des grappes de lilas
je buvais la bave des marguerites
je saignais les coquelicots
Te souviens-tu lorsque nous courrions
plus vite que le nuage chargé de pluie
d'orage nos corps électrisés se heurtaient
aux portails séraphiques
Pour te charmer je te confectionnais
des bracelets de limaces
je caressais le ver de terre
je croquais l'escargot
As-tu souvenir de l'étang aux quenouilles
où nous jouions aux noyés
où filait la brume d'avril
sur nos visages étales nos corps fluets
Pour te conquérir je gagnais la rive
te tendais un roseau effleurant ta peau
chantant t'appelant en vain
tu t'abandonnais à l'onde
Tu ne te souviens plus
Pour t'aimer j'effeuille la marguerite
un peu beaucoup désespérément
infiniment
Cygne blanc Avant de m'assagir
Je veux me garder
Un coin de ciel
D’orange brûlée
Un nectar d’ébène
Plein la gorge
Des percussions d’eucalyptus
Plein les oreilles
Et d’être rejeté
Comme Jonas
Par un océan
Jamais lassé
De répandre
Ses perles de bonheur
Avant de m’assagir
Je veux abandonner
Aux morsures du sable
Les mues de mes soucis
De mes regrets
Et de mes amours
Non consommés
Je veux surtout
Marcher pieds nus
Dans les diaphanes lumières
Jusqu’à l’établi
De l’oubli des jours
Où le batelier est roi
Avant de m’assagir
Je veux croire
Une dernière fois
Que l’impossible
Que Sydney, Rio,
Valparaiso, Oslo
Ne sont pas plus éloignés
Que mes yeux le sont de tes lèvres
Que dans chaque rose
Un mystère d’amour repose
Que le ciel vient
À qui sait l’attendre
Et le tendre
Lug 03-02-2022
Les éperons jacassent,
Mais je n'ai rien à faire ni du tsar
Ni des querelles des peuples.
Comme sur une corde fêlée
Je danse petit danseur.
Je suis l'ombre d'une ombre. Je suis lunaire
De deux sombres lunes.
Marina Tsvétaiéva
J’en suis à ces impressions quand j’entends quoiqu’encore très faible un bruit semblable à celui d’un serpent qui rampe sur l’asphalte. Soudainement, au coin d’une rue, une silhouette apparaît, une silhouette qui semble être celle d’une vieille dame. C’est une vieille femme dont il est impossible d’attribuer un âge tant le temps s’acharne à la maintenir en vie. Toute courbée, rabougrie, bossue, sculptée par l’arthrite, elle se traîne, indestructible telle Mère Courage, enveloppée comme un oignon dans des couches de morceaux de vêtements déchirés jaunes, gris et moisis. Un zéphyr à tête de vizir turc se lève pour disparaître aussitôt.
La vieille centenaire m’a aperçu et quand j’essaie d’immobiliser son regard, je me sens avalé par les profondeurs noires de la Terre. Je la suis de loin. Au tournant d’une rue, elle disparaît et j’aperçois alors un enfant chauve tout recroquevillé sur lui-même qui semble purger une pénitence comme celle réservée aux mauvais garnements qu’on forçait à la retenue dans le coin d’une salle de classe. Quelque chose contraste entre son immobilité et celle des stèles des bâtiments bombardés, quelque chose de l’ordre de la détention éternelle dans un corps encore doté de vie, mais qui n’a plus de volonté autre que celle de respecter sans manifester la pénitence qui a scellé son âme, blonde comme la lumière des steppes quand elle danse avec la poussière des villes. Il voulait des châteaux… Le voici réduit à un carré de sable aux frontières infranchissables. Cet enfant plongé en lui-même fut jadis un homme qui se mesurait aux tigres, aux ours et aux grands de ce monde. Il était fier comme le premier empereur mésopotamien Gilgamesh, rien n’était à l’épreuve de ses défiances et il aimait par-dessus l’ordre et la puissance, essentiellement les siens.
Dans la stridence silencieuse et aigüe de Kiev, les bâtiments sont les cartilages des ailes d’étranges créatures de rêves! Ici tout à sa doublure, malgré ce nimbe radioactif de Tchernobyl réactivé. Un jeu de poupées gigognes et de pelures d’oignons qui cache un atome fertile de Terre promise.
J’avais oublié que c’était le premier jour du printemps. Subrepticement, je sens que je dois détourner mon attention de la scène avec l’enfant et me retourner. Je vois alors la vieille dame franchir la grande porte de Kiev pour disparaître dans la steppe ancestrale. Elle a retiré ses pelures de misère et apparaît alors dans toute sa gloire avant de s’évanouir dans la rosée.
Les cloches de la Kiev restaurée se mettent alors à sonner et les rues se remplissent de ses habitants comme dans ces toiles des peintres flamands. Les gratte-ciels et les tours d’habitation construites à l’époque de la Russie soviétique sont disparus et à leur place de vieilles chaumières sont apparues qui laissent s’échapper des filets de fumée parfumée de leurs âtres. Je comprends alors la prophétie du Père Zosime relatée par Dostoïevski dans Les Frères Karamazov au sujet de la réinstauration de la Jérusalem céleste, de la cité éternelle du Christ-Roi, une fois le dernier orgueil vaincu, déposé aux pieds de la grande Déméter russe, la Matouchka Rossia dont il ne reste que le cartilage dans la cité légendaire.
Lug 03-03-2022
C’est une rumeur étrangère,
Dans les débats télévisés,
Ce sont des présidents fâchés
Et leurs peuples mal informés.
Maman, c’est quoi la guerre ?
C’est la bourse en décrue,
Une moisson de blé jaune perdue
Et des gens qui prient
A l’autre bout du pays.
Maman, c’est quoi la guerre ?
C’est le brame des canons
Roulant vers nos régions
Et des voitures en sens contraire
Qui fuient vers la frontière.
Maman, c’est quoi la guerre ?
C’est du feu dans le bleu de l’air
et du sang sur la terre,
C’est, avant l’aube, ton père parti
Avec un pauvre fusil.
Maman, c’est quoi la guerre ?
Ce sont des maisons cassées,
Des sirènes toutes les heures,
C’est la voisine qui pleure
Et ton père qui tarde à rentrer.
Maman, c’est quoi la guerre ?
Ce sont des cris dehors,
Suivis de silences trop sonores,
C’est ton père disparu
Qui, peut-être, ne reviendra plus.
Maman, c’est quoi la guerre ?
C’est un souffle affreux et toi,
Dans mes bras trop maigres, toi,
Mon chaton, mon tout petit mignon,
Toi, qui ne posera plus de questions…
Toi, qui ne posera plus de questions...
Isabelle Forestier
Juste pour te plaire
je mangeais des grappes de lilas
je buvais la bave des marguerites
je saignais les coquelicots
Te souviens-tu lorsque nous courrions
plus vite que le nuage chargé de pluie
d'orage nos corps électrisés se heurtaient
aux portails séraphiques
Pour te charmer je te confectionnais
des bracelets de limaces
je caressais le ver de terre
je croquais l'escargot
As-tu souvenir de l'étang aux quenouilles
où nous jouions aux noyés
où filait la brume d'avril
sur nos visages étales nos corps fluets
Pour te conquérir je gagnais la rive
te tendais un roseau effleurant ta peau
chantant t'appelant en vain
tu t'abandonnais à l'onde
Tu ne te souviens plus
Pour t'aimer j'effeuille la marguerite
un peu beaucoup désespérément
infiniment
Cygne blanc
Je suis vaste
Je suis éternel
Je suis vulnérable
Je suis petit
J'ai besoin d'aide
Entre ces deux, ma vie coule.
Jeff Foster
fuyant le désordre
au moindre soulèvement
d'une pierre d'une écorce
d'une tempête
d'un œil inquisitif
Nous ne sommes pas
des bouc-émissaires
des moutons de Panurge
des rats de laboratoires
des innocents
des esclaves des robots
Nous utilisons les robots
nous libérons les esclaves
nous protégeons les innocents
nous n'avons pas de rats de laboratoire
nous n'imitons plus les moutons de Panurge
nous ne sacrifions plus les boucs émissaires
Nous étions de la cohorte
des anges déchus
aveugles sourds
criards déçus
Nous sommes les fruits
de l'arbre de la Connaissance
nourriture des porcs
de l'enfant
du divin
Nous sommes souffle
infini
Cygne blanc
L’image
Une tête libérée de son tronc
Et de son paysage
Une capture dans les écrans de nos vies
L’image
Un pont de fuite à souvenirs
Un accord entre Ciel et Terre
Un phosphène incarné
Du regardant observé
Un autel à chaque ascension
Une auge à répétitions
L’image
Un pont entre deux visages
Deux voyages
Lug
Paul Valery
Faites confiance aux avertissements des chiens
À leur prescience et savoir wagnériens
Faites confiance au sommeil des chats
Pour choisir vice-versa entre geisha et pacha
Faites confiance à l’entêtement des fourmis
Pour vous libérer des sortilèges ennemis
Faites confiance aux oreilles de lapin
Pour connaître les vertus de la foudre de perlimpinpin
Faites confiance aux yeux du crapaud
Pour changer de vie et de peau
Faites confiance au vol de l’aigle
Et à l’ergot de seigle
Pour retrouver le ciel
La tête sur l’autel.
Lug 07-01-2022
Bon assez parlé
il me faut me réinventer une fois l'année
là dans le décongelé
je tire au sort une pièce encore toute encélophanée
en fait je ne sais trop ce que c'est
j'aperçois une patte par-ci par-là
une cage qui devait être thoracique
un œil vitreux
ah un bec de lièvre
ça me parle
le petit Levreau pris au collet
par mon frérot cet automne
Il était chaud lors du dépeçage
son estomac bourré de cèdre le verdissait
mais là sur le comptoir
il n'a pas bonne mine
il a même perdu la forme
je vais le retaper
vous le cuisiner à ma façon
quelques pommes de terre dans une chaudière
des carottes des oignons
les lapins adorent les carottes
mes invités de même c'est bon pour l'humeur
D'abord le faire sauter lui
qui ne bondit plus
allez sautes mon Petit
sauves-toi si tu le peux
ici il n'y a que des bouchers
des couteaux des hachoirs
et des mâchoires
je vais te farcir aux pruneaux
qu'en penses-tu
à moins que tu ne préfères les olives
j'en garde une pour remplacer ton œil borgne
et pourquoi pas une farce aux marrons
c'est bon les marrons
c'est doux, c'est rond et marron
en fait ce sont des châtaignes
ça me rappelle le petit bois
ta garenne et la rabouillère
non la rabouillère n'est pas
un met cuisiné
Mon gibier est là en attente
d'être farcis
il ne la trouve pas drôle
et moi de faire durer le supplice
agitant mes instruments contondants
dans tous les sens comme un samouraï
bien aiguisé devant son maître
et quel maître ce lièvre
mort ou vivant
il nous vient de la lune
il peuple la terre mère
et la nourrit bien sûr
Bon mes invités se font pressants
durant ces temps froids
vais-je leur fricoter un ragoût à la Jeanette B.
une chaudrée chasseur à l'ancienne
une tourte à la Montignac
un soufflé...
Ouf je suis essoufflé
et je m'agite l'écumoire
Durant tout ce temps où
je vous raconte ces histoires
j'ai pu passé au chinois
ma sauce aux truffes
rien que ça mes amis
et j'en réserve une pour
le bout du nez de mon petit
ah je ne vous dis pas où je la fourre celle-là
En parlant de fourrage mon petit lapin
je ne t'oublie pas
là déjà tu me zyeutes de ton œil vert olive
et de l'autre noir-assommoir
Je sens que l'on va dévorer mon plat
au fait comment le nommer
Sauté de lièvre au beurre blond
Fourré de lapin au foie gras
Pâté campagnard non c'est un peu lourd
plutôt Terrine ou Verrine de Maman Dion
ou Tartare de Tartempion
Oh là je m'égare
après deux petits verres
j'échappe mes ustensiles
et joue de la bassine de cuisine
tout en cuivre cabossé
style "steelpan"
pas raisonnable le cuistot
Mon lapin saute toujours dans le beurre blond
de plus en plus noir d'ailleurs
un lapin noir
un lapin blanc
peut-être gris comme je le deviens
mais celui-là ne sortira pas du chapeau
je vous le promets
je lui ai attaché les pattes
avec de la ficelle de chanvre
entièrement comestible
soyez tranquilles mes petits estomacs
fragiles
y a qu'à bien mâcher
"se faire aller le mâche-patate"
expression peu distinguée
mais bien imagée et tellement efficace
Non je ne vous servirai pas
de pomme de terre
en robe des champs
ni en robe de chambre
ni pillée ni écrasée
ni enrobée ni triturée
mais des flageolais
oui je sais les flageolais
accompagnent surtout l'agneau
mais j'observe que mon petit lapin
sauté et ressauté
ressemble de plus en plus à un agneau
alors je me permets de le flageoler
de le cajoler
je lui fais du plat
Ah oui c'est à mes invités que je ferai du plat
à plat ventre même et bien engainé
avec ou sans tablier
Toi mon lapin je te mets au plat
au four bien garni bien entouré et assaisonné
au chaud nappé d'une sauce mousseline
ainsi tu peux rêver
de retrouver ton terrier
ta forêt parfumée de truffes
et moi de me verser une larme
puis une autre
mon verre à moitié plein
à ta santé mon petit chat
Et mes invités
et bien ils m'ont posé un Lapin
je n'en ferai pas tout un plat
Ils sont dans la lune sans doute
la terre est ronde et moi
je suis rond marron
petit marmiton
Cygne blanc