jeudi 28 février 2019

Aragon, tisserand de la lumière


Lumière de Tolède sur le Vaccarès
Que viennent à mon aide Satie, Milhaud et Varèse
Ô toi, l’orphelin au nom d’Espagne
Que les mots d’airain jamais n’épargnent!

Aragon, Hypérion
Tes vers sont si blonds 
Que les mers leur prêtent leurs sillons.
Ils caressent la plaine et se multiplient
Dans le cœur des grenades
Dont ils connaissent l’haleine et se déplient
Aux pieds des fleurs des bourgades.

Paysan de paris
Au ciel de Provence
Chambellan de houris
Au miel de jouvence!

Aragon, ton verbe chante toutes les femmes
Champagne et cristal sur leurs nuques et leurs épaules.

Femme, bergère comptant les étoiles
Dans le troupeau de la lumière stellaire
Tout l’accord de ton corps
Contient la kabbale et la science des nombres
L’Un dans l’amour qui te respire
Et ses progénitures dans chacune de tes sensations
De tes révélations et de tes intuitions.
Poésie, mariée à l’infini tendresse
De la nuit qui luit, là où les soleils se sont renversés
Dans un mouvement perpétuel
Vers les îlots migrateurs de tes yeux
Qui ont donné aux vocables leurs fruits.

Métamorphoses par lesquelles tous soleils
Deviennent paroles de femmes
Au point que les rivières soudainement
Redeviennent invisibles
Et que le végétal communie avec le minéral
Dans l’ascension des vocables de cristal
Arôme de la lumière du jour dévêtu.

Aragon, trouvère parcourant les contrées sensibles
De la peau de tes illuminations.

Caresse de mots sur les zéphyrs du rêve et de l’esprit
De quel astre androgyne provenez-vous ?

Lug Lavallée

mercredi 27 février 2019

Chevaux de feu


Voilà à nouveau les chevaux de feu qui enflamment l'horizon. Nous les avions cru perdus, ils n'étaient qu'endormis. Ils ont traversé la nuit et nous arrivent tout empreints de rêves hirsutes et multicolores, dont les rires se mêlent aux hennissements des cabales qui ont embrassé l'aurore. Tu le sais, tu l'as deviné avant moi : je n'aurai de cesse que de me joindre à leur cavalcade sauvage, pour aller me perdre, dans un souffle brûlant, au-delà de demain. Chevaux de feu, vous êtes ma vie, le seul destin auquel je consens.

mardi 26 février 2019

Evidence de la beauté


Hormis les inventions de l'homme, il n'y a rien à comprendre. Les seuls mystères, ce sont les rites et les secrets de la société humaine. Le reste, tout le reste, c'est l'évidence de la beauté.

J.M.G Le Clezio

lundi 25 février 2019

Poème à Nico


À la manière d’Aragon avec quelques emprunts

Tes yeux sont si profonds qu’en me penchant pour boire
J’ai vu tous les soleils y venir se mirer
La mer y dérouler son tapis à tes pieds
Pour honorer ta grâce et ta beauté
Dans le cœur de chaque chose et de chaque être déverrouillé.

Et j’ai vu dans tes yeux par-delà une brume des songes
Les envolées et les messagers des dieux rentrer au bercail
Dans ces lieux familiers à tes bras et à tes étoiles de mer
Quand tu danses seule avec les anges
Et dans cette lumière que tu fécondes
La dureté, l’insensibilité et l’opacité du cœur, des regards et du monde
Se trouvent soudainement condamnés à l’exil.
Et dans cet espace bleu où on en oublie jusqu’à son existence
La faim, la soif et le désir des choses s’évanouissent
Meurent de leurs fragiles décrets 
Et livrent les fleurs de leurs ultimes secrets.

Nico, le ciel n’est jamais si bleu comme il l’est sur les blés
Le soleil te donne son feu quand tu marches dans les prés.

Lug Lavallée

dimanche 24 février 2019

Approche fauve


Tu approches de moi à pas fauves, avec dans les yeux un soleil rugissant, dans la bouche une lune jouissive. Je t'ai perdue de vue depuis si longtemps que je redécouvre tout de toi. Je reconnais dans la profondeur immense de ton regard la brûlure du désert où je me perdrai sans recours. Je m'offre avec joie à tes griffes, à tes crocs, trop heureux que tu sois décidée cette fois à me manger tout entier. Il ne restera rien de moi que la danse sauvage du feu et son fugitif éclat qui transperce la nuit.

vendredi 22 février 2019

Homme vivant

La connaissance de soi est une naissance à sa propre lumière, à son propre soleil. L'homme qui se connaît est un homme vivant.

Marie-Madeleine Davy

mercredi 20 février 2019

Victor Hugo ou l’or d’être grand-père


Hugo, quelle trappe s’est ouverte pour toi ?
En ce siècle désenchanté aux toits calcinés
Quel satrape a fait rouler la tête des rois ?
Dans les rues de Paris aux bras de pieuvre éventrée

Oui, tu as vu lors de ton voyage aux pays des ombres
La lumière des existences gercées  et sombres
Noircir la nudité des aubes recommencées
Épaissir la cécité des alcôves désertées.

Oui, Hugo avec Virgile aux enfers tu es descendu
Et à la fourche du feu, 
Tu as pris le chemin des cathédrales englouties
Là où Dieu a quitté son suaire
Dorénavant rempli par l’éternelle absence de l’étoile du matin
Jouant de l’archet sur la nef
La colonne vertébrale du squelette de Satan
Aux chairs percées d’étoiles
Cathédrale de l’haleine matérialisée des amours glacés
Iles désertées flottant sur l’écume des dieux noyés.

De ce long voyage dans les geôles  océanes des siècles
Tu es revenu, vieillard prématurément blanchi
Avec les larmes de l’or
Pour éclairer dans le déroulement brutal du temps qu’il nous reste
Ce qu’il nous reste de liberté
Ce qu’il nous reste de naïveté
Dans les carrés de sable alchimique 
Où s’amusent Esmeralda et Quasimodo
Les Gavroche et Cosette de notre monde
Moyen Âge et Modernité confondus
Là où les chênes et les chiens
Parlent toujours la même langue.

Hugo, tu me rappelles ce scribe de la lointaine Mésopotamie
Qui s’est figé dans le désert d’Assyrie
Après l’immense déchirure des amants séparés
Après l’errance folle de la Lune et du Soleil
Dans le roulis du silence inquiétant
Ce sont les voix de tant de voyageurs que tu rends audibles.

Lug Lavallée

mardi 19 février 2019

Le violon de l'Archange


À la fenêtre un violon
celui de l'Archange
l'Archange de la Destinée
celle qu'il met à tes pieds

en franchiras-tu le seuil
seul ton nom nous le révèle
ton nom  verbe d'amour
d'aimer  tu seras

au loin l'appel comme
fumée  brume  voile  linceul 
linceul du vivant

il le porte jusqu'aux nues
ton nom
il n'a du danger que la rumeur
qui le soulève d'un bond
vers un malheur imaginé

à la fenêtre un violon
de mon lit
un ciel violé
d'anges en gigognes

j'entends Proust 
appeler sa chère Céleste
les mains posées sur lui
aux regards des anges
chastes témoins
revêtant de leurs manteaux
ce voyageur retenu
plume dans le cœur
il dévoile leurs envies
les plus criantes
leurs lucides ardeurs
vivre  aimer  mourir

ces derniers dans un état
que l'on ne pourrait atteindre
sans mourir et renaître
et mourir de nouveau

vivre par procuration
en l'être aimé aimant
mourir plutôt pour
une conscience 
de l'Autre

par la fenêtre
l'Appel
le Nommé
ton Nom
Verbe d'Amour

Cygne blanc

lundi 18 février 2019

L' Alter égo

Mon Alter égo
mon tout de go
ma raison météo
mon arc-en-ciel de pluie
mon soleil de minuit
ma lune en plein midi.

Le brouillard de mon phare
ma gouttelette en miroir
Les sillons de mon lac
le départ sur mon tarmac
L' étoile dans mon télescope
le bonheur à ma porte.

Lise Bujold (Lib)

samedi 16 février 2019

Oiseaux de l'âme presque mortels


Tout ange est effroyable. Pourtant – Malheur à moi ! –
je vous invoque, oiseaux de l’âme presque mortels,
sachant bien qui vous êtes. Qu’il est loin le temps de Tobie,
où l’un des plus radieux se tenait à la porte
un peu déguisé pour le voyage, cessant déjà d’être effrayant
(Simple jeune homme pour le jeune homme qui, avec curiosité, le regardait).
Puissions-nous aussi trouver une part étroite de pure humanité qui demeure
Une bande qui soit nôtre de terre féconde
Entre fleuve et rocher.
Car notre propre cœur comme eux
Nous surpasse toujours. Et nous ne pouvons le suivre du regard dans les images
Qui le tranquillisent ni dans les corps divins par lesquels
Tout en s’agrandissant, il se mesure.

Rainer Maria Rilke (seconde Élégie de Duino)

vendredi 15 février 2019

Duino



Il faut être au pays des anges, innocence sans frontières, pour percevoir leur présence dans la blancheur bleutée de nos cœurs irradiés.
Avec le bruit du soupçon de leurs pas commencent le décompte des jours sur l’archet du temps, l’angoisse froide, voire mortelle, qui nous chasse de l’Éden, le craquement de l’ivoire dans le cœur de la pomme puis puits l’approche de Dieu qui nous fera chercher dans l’onde des filles de la Terre leur lumière.
Oui, en effet, les anges sont pétrifiants, car leur présence refuse le désespoir dans le ressac du noir océan et la sourde comptabilité de la culpabilité. Dans le noircissement de nos aveuglements, les vautours se matérialisent, attirés par nos manques de foi.
Mirages. Commencent l’extase et la quête dans le désert de nos pas. La violence et le bruit remplissent alors l’espace de leur absence où nous apprenons à devenir des hommes avec nos plumes trempées dans l’encre des mots, ossements de leur souffle.
Forgerons qui frappez sur vos enclumes à coups de sang et de feu, qui appelez-vous sinon la lumière des anges qui vous a forgés?
Percussions. À chaque carrefour multipliant ses bras, les astres signalent la stridence de leur retrait et la densité de notre chute.
Anges comment vous retrouver? Reste-t-il suffisamment de nuages, de plumes et de soie dans nos écrins pour munir d’ailes les squelettes de nos témoignages?
Mais lorsque le désespoir et l’orgueil perdent leurs ultimes pétales, dans le coquillage de notre abandon retentit à nouveau le pas de l’ange.
Lug Lavallée

jeudi 14 février 2019

Abîme inconnu

Sous les fleurs que je sais il n'est pas de prairie
mais le lait noir de l'abîme inconnu ;
dans mon sommeil amer je les rends à la nuit,
elles descendent, elles s'éteignent lentement.

Jean Tardieu

mercredi 13 février 2019

Rencontre


De tout, il resta trois choses:
La certitude que tout était
en train de commencer,
la certitude qu’il fallait continuer,
la certitude que cela serait interrompu avant que d’être terminé.
Faire de l’interruption, un nouveau chemin,
faire de la chute, un pas de danse,
faire de la peur, un escalier,
du rêve, un pont,
de la recherche…
une rencontre.

Fernando Pessoa

mardi 12 février 2019

Sourire


Sourire, regard divin enfantant les eaux dormantes.

Le sourire est à la source de l’union des contraires qui dans leurs extrémités s’embrasent aux commissures des lèvres pour entreprendre sur cette barque lunaire le plus beau voyage dans l’haleine, feu et eau réconciliés,  la brume éthérée du soleil ouvrant sa porte au cœur renouvelé des amoureux apatrides, mais combien libres dans le paradis retrouvé du présent.

Le sourire, c’est Yggdrasil, l’arbre des origines où viennent  se percher mésanges, colibris, aigles et phénix ainsi que tous ceux qui ont déjà parlé la langue des oiseaux. 

Le sourire est la seule politique que j’admette ; celle de l’unité qui a fait dire, un jour,  au jeune Rimbaud, extasié dans la chevelure estivale de Gaia : « Je est un autre ».

Le sourire, c’est l’alchimie précipitant l’éclosion des perles de feu; moments magiques des crépuscules où les canyons ouvrent leurs secrètes opales.

Le sourire, dépôt de nos peaux angéliques.

Oui, le sourire est un regard divin révélant les frissons des eaux dormantes. Chacune des semences qu’il dépose ajoute à nos jours un peu plus de ce ciel que respire Yggdrasil.

Que cherchent donc l’enfant dans le sourire du vieillard et le vieillard dans le sourire de l’enfant sinon la commune certitude de l’éternité?

Lug Lavallée

dimanche 10 février 2019

Le pont de Mostar



Les mots dits ont démoli
Maintenant je ne crie plus, j’écris
De loin, je réécris l’histoire
L’histoire de Mostar en Bosnie
Je ne me tairai pas
Même haïssable, je suis intarissable
Mos-tarira plus, c’est la source
Là d’où on vient
La source des conflits et des solutions
Qui a raison. Qui a tort-ture
Qui a la dent dure?

Auchwitz, Argentine, Burundi
Cambodge, Chili
Rwanda, Hiroshima...

Je ne me tairai pas. Je ne me terrerai pas de peur…
Tu ne m’enterreras pas!
Les mostari ne contrôlent plus personne
Sous le pont, la Neretva abreuve l’au-delà
Nourrit de ses maux,
d’autres mots, d’autres monts et merveilles
Le Stari Most veille…

L’eau qui coule sous lui,
Entre ses jambes de pierres rôties
Ses jambes qui ne dansent pas la bossa nova
Ses jambes velues de Boss-nient le coup bas du destin
L’ersatz bovin, l’Herzégovine éventrée
Alors que les autres regardaient le train passer…

De la Bosnie détraquée
Déchirée entre toutes les trames
Coule l’espoir
De ne plus devoir choisir son camp
De quitter le camp de fortune
De se tenir droit

Rebâtir le pont de Mostar
Le lien symbolique d’une vieille ville
Rougie par la chair éclatée sous les obus
Rougie par les invectives et les abus
Il surplombe la rivière qui a retrouvé son vert

La Mostar ne nous monte plus au nez
Mostar s’élève plus haut que les tirs de mortier
Fini le casse-tête, le casse-pipe, le cauchemar.
Est-ce bien vrai? Y croyez-vous, vous?
Croyez-vous que Mostar a retrouvé son pont?
Qu’avec ses courbes arquées, il refait le dos rond.
Pour laisser enfin couler les peines et faire place au pardon…

Que représente donc le petit moi, le moignon de Mostar?
Une paix coûteuse, les Balkans, de volcaniques tempéraments.
Que représente le petit moi, le moignon de Mostar?
Sinon l’histoire de chacun
La permanente reconstruction de notre trop humaine condition.

Alors rappelle-toi. Dans nos gue-guerres intestines
En traversant le McDonald, qu’il y a des ponts pas-de-cartier
Qu’il y a des ponts-cicatrices
qui mettent un temps fou à se refermer…

Auchwitz, Argentine, Burundi
Cambodge, Chili
Rwanda, Hiroshima...


Sophie Dassy

samedi 9 février 2019

L' amour en alphabet

Toi qui manque à ma vie
mon complément d'objet direct
ma grammaire à l'envers
mon puit sans fond
mon vide dans l'édredon.
Le P de ma passion
le T de ma tension
le Z de ma zénitude
le C de ma certitude
ta Lettre ,
  manque à mon alphabet
besoin d' amour avec un A
du T de ta Tendresse
et du D de tes doigts.

Lise Bujold (Lib)

vendredi 8 février 2019

jeudi 7 février 2019

L'anse du Bic


Les esprits tutélaires des derniers bisons des portes orientales
Sommeillent aux pieds du fleuve
Où ils rêvent d'un Nouveau Monde.

Je ne chante plus le Haut-Canada
Mon pays, c'est le Bas-Canada
Pas celui de la finance et du pouvoir
Mais celui dont on ignore la trace métisse
De souches celte et amérindienne
Entremêlées en un même songe fraternel.

Ma terre, c'est la paume gercée et fatiguée
Les bras généreux du fleuve sacré
Appalaches, mémoire d'Apache taillée à coups de hache.
Site où sont convoqués tous les océans
Pour l'ultime restauration des théophanies de l'enfance et de la Nature célébrées.

Lug Lavallée

mercredi 6 février 2019

Chute heureuse


Pour gagner les terribles faveurs de l'abîme
arbres nous monterons par le dedans jusqu'à nos fleurs.
Alors le vent, alors l'automne, alors
notre accomplissement sera
cette chute légère, heureuse, désolée.

Jean Tardieu

mardi 5 février 2019

Odanak


Rien n'a véritablement changé
Le temps a suspendu son vol
Le soleil se multiplie
Dans les champs paisibles.
Et les poupées de maïs
Attendent le feu des calumets
Pour s'animer
Tandis que la saint-François
Libère ses couleuvres
Et qu'une plume ferme nos paupières
Pour donner accès aux territoires de rêves.

Au-dessus de nos têtes
Silencieusement
Les nuages ont des empreintes de mocassins.

Lug Lavallée

lundi 4 février 2019

Souffle


Mon corps n'est pas le Souffle
mon âme n'est pas le Souffle
ma vie ma mort ne sont pas le Souffle

le vent  le feu  l'océan  Gaïa
ne sont pas le Souffle

je ne suis pas le Souffle
nous ne sommes pas le Souffle
nous sommes Amour

Les pierres ont-elles un souffle
grain de sable aux replis de ma peau

la fourmi respire-t-elle
grain de riz sur ma langue

le cygne 
chant du yin et du yang
sur le lac Tao

la fleur la feuille répondent-elles
au murmure du vent
attaches légères aux lignées des fragrances

entre ciel et terre à perdre haleine
le fil du Souffle entre nous

Cygne blanc