Rien d'autre aujourd'hui
Que d'aller dans le printemps
Rien de plus
Buson
Parce que même les téléphones se croient intelligents désormais...
Ton petit derrière velu
surmonté de tes ailes en verrière
reflet d'arc-en-ciel
posé sur la tranche de mon livre
fruit de mes rêveries
déjà envolées
Te voilà cherchant la chaleur
de l'ordinateur
noire sur noir
je devine tes yeux rouges
observant les facéties de ma souris
Puis mutine tu me suis à la cuisine
et là ça trompe
ça pompe ça pond
à la douzaine
Qui te féconde
Ta sœur sur le beurre
ton frère qui se fait le camembert
À la douche petite farouche
tu frottes obstinément tes membres supérieurs
puis les passent et repassent sur ta tête
antennes et aigrettes rebelles
à répétition tes ablutions d'air
comme une prière
pattes arrières en contrition dans la poussière
petite Nitouche
Ton corps recouvert de soies
velu velours de tes pattes
sous le vernis de tes ailes
se cache-t-il un cœur
j'ose
un cœur de Manouche
cherchant la lumière
Bourdonnante tu m'as demandé
l'hospitalité
je t'ai laissée entrer
après deux semaines tu as disparu
puis comme un ver d'oreille
tu m'es revenue
je ne voulais pas t'écraser
encore moins te tuer
juste te garder
entre les pages de mon livre
Cygne blanc
J’ai du mal parfois
Alors je consulte ses méridiens
Les mots me font souvent défaut
Les silences s’accompagnent de leurs faux
Le temps c’est ce vieux miroir
Exsangue de ceux qui sont venus y boire
Les poussières de l’ennui
Bouchent les moustiquaires de la nuit
De la nuit qui luit pour un oui
La chaise de ma grand-mère
Une catapulte à l’assaut
De la chaire de mon grand-père
Pour voir le jour s’allumer
Dans les ivoires de leurs souvenirs
Si l’hiver est un long dimanche
C’est que le repos et les changements de peaux
Sont des vers gravés sur des nuits blanches.
* Les vers 2, 4, 6, 8, 10, 13, 16 et 18 sont extraits du poème "Chemin montant" de Gilles Vigneault
Lug Lavallée
Jiddu Krishnamurti
Les trembles exultent les derniers vocables
Des langues ailées
Les fleurs ont vidé leurs outres
Après avoir donné le vin de toutes leurs infidélis
La terre est saoule jusqu’à lie
Les ruisseaux tranchent les artères du Temps
Le silence règne en despote dans son établi
La terre assume toutes les moiteurs.
Lug Lavallée
Maître Connard à la barre
se défendait gaillardement
d'accusations d'Usurpateur
de l'usufruit de ses successeurs
qu'il convoitait à petites lampées
Maître Bobard non Maître Connard
ou plutôt Babar et Canard
devaient se rencontrer tôt ou tard
pour cette ineffable histoire
l'un jaboté de baptiste
l'autre ficelé à l'artiste
tous deux pissant le vice
Ne vous en faites pas
il n'y aura pas de Loup au rencart
ni le sang d'un Agneau au ruisseau
ni de Héron sans un rond
ni de Lièvre attardé
ni de Bœuf à la queue de veau
ni d'œufs de Grenouille
Mais peut-être un petit Rat
une Fourmi un Pigeon
et même une Mouche
se faisant justice de quelques
grains de vermisseaux et de fromage
dans les coulisses du Palais
Revenons à nos deux Lascars
Maître Bobard toujours penché avec peine
sur le dossier du Roublard à la barre
devant une audience haletante
Maître Connard usant et abusant
de stratagèmes dans l'espoir
de ne pas y laisser sa chemise
et les dollars de la Promise
en l'occurrence l'usufruit
de la descendance de "la Femme noyée"
Maître Bobard suant
sous sa perruque féline
et ployant sous le code civil
tambourinait d'impatience
devant une audience incertaine
Maître Connard
usant de flagornerie
gagnait en souveraineté
et malhonnêteté
Maître Bobard
agissant avec une couardise notoire
face à ce Croquemitaine de basse cour
laissa finalement tomber son verdict
ponctués de magistraux coups de marteau
tuant quelques cafards
devant son auditoire ébaubi
La Séance était levée
il n'y aurait pas d'appel
la Femme étant noyée
et sa Descendance virtuelle
Jetons un dernier regard
Au cours de cette affaire
il s'avère que
Maître Connard semble un fin Renard
et Maître Bobard un Corbeau de corbillard
Cygne blanc
Les citrouilles célèbrent les champs
Et le déclin de l’oranger
Les corneilles
Disputent les derniers reflets du jour
Aux corbeaux qui chantent la noirceur
La Terre remplit son encrier
Pour composer avec l’alphabet de la neige
Un nouveau chapitre des vivants et des morts.
Lug Lavallée
La Sixpatte ayant fourbi
son mari toute la nuit
se trouva peu vêtue
la bise venue
pas même une petite gaine
ou brin de laine pour sa peine
elle alla chez son voisin
chantant rengaines et refrains
Monsieur Grillon sur son perron
jouait de l'accordéon à boutons
pas à quatre trous non
ni à quatre roues voyons
l'accordéon-maison
à la voir si menue
dans sa retenue
il la pris
la chéris
lui prêtant attention
et quelques fruits de la passion
jusqu'à la saison nouvelle
je danserai lui dit-elle
foi de Sixpatte vernies
je prends mari
et lui de striduler
de l'aduler tout l'été
après l'Août
fini les BBQ
plus rien à griller
encore moins à cirer
ni moisson ni poisson
Monsieur Grillon plia chanson
accordéon et ferma maison
au grand Dam
de Madame
non sans malaise
une petite Javanaise
à Sixpatte pour me mettre à l'aise
ne vous en déplaise
notre Pygmalion
jugea que ce n'était plus de bon ton
de la bourse les cordons bien serrés
il avait tout donné
à cette Sixpatte sympathique
mais pathétique
menue velue parvenue
la bise venue
elle repartit à son fourbi
peu nanti mais garanti
eh bien pleurez maintenant
puis souriez en passant
Monsieur Grillon
aura d'autres chansons
pour d'autres saisons
Mme Sixpatte
reviendra à la hâte
la saison prochaine
Cygne blanc
Christiane Singer
Nous rions, nous trinquons. En nous défilent les blessés,
Les meurtris; nous leur devons mémoire et vie.
Car vivre, c'est savoir que tout instant est rayon d'or
Sur une mer de ténèbres, c'est savoir dire merci.
François Cheng
Laissez vos jugements connaître leur propre développement, calme, non troublé; comme tout progrès, il doit venir de la profondeur du dedans, et rien ne peut le hâter ni l'accélérer. Tout doit être porté à terme, puis mis au monde. Laissez chaque impression et chaque germe de sensibilité s'accomplir en vous, dans l'obscurité, dans l'indicible, l'inconscient, là où l'intelligence proprement dite n'atteint pas, et laissez-les attendre, avec une humilité et une patience profondes, l'heure d'accoucher d'une nouvelle clarté : cela seul s'appelle vivre l'expérience de l'art : qu'il s'agisse de comprendre ou de créer.
Rainer Maria Rilke
le canotier
de l'héritier vétéran
le chapelier
du retraité véhément
l’éthéré
vétéran véhément
le canotier
délaissé sur le canapé
du négrier véhément
héritier du chapelier
le rescapé
de la canopée
au canotier éventé
le chapelier frisé
vantant ses bérets feutrés
à des toqués
le négrier dénigré
véhiculant des rasés
ventripotents
le vénéré tonsuré
échappé du couvent
au clocher émergeant
de la canopée ventilée
l'éminence mitrée
du silence sacré
évitant les décoiffés
pénitents
le chapelier effervescent
de l'archevêché
éventré devant
les pénitents décapités
les décapités innocents
réclamant une couronne
Cygne blanc
À Ur
Grondait l’ire
Des temps à venir
Inutile désormais de chercher des ciels purs
Étaient venus le temps des ziggourats et des menhirs
Vraiment une lutte à finir
Entre l’azur et l’obscur
Entre dire et mentir
Non nos fémurs
Ne sont pas faits pour se rompre contre les murs
Mais pour courir
Après les papillons et les sourires
À Ur
Sont apparues de nouvelles urgences sur fond de soupirs
De puissants mensonges à l’effet qu’il fallait atteindre l’âge mûr
Pour voir les fruits du destin s’épanouir
Pour dégager le présent du passé et du futur
Lug
Christian Bobin
Syracuse 1968
J’avais dix ans
Encore tout mon temps
Bob Dylan, Eight miles High
Hurdy Gurdy Man,
Cheveux aux vents
Quelques ruptures d’horizon
À l’occasion.
Robert Kennedy venait de mourir
Comme un trop lointain bruit de verre brisé
Dans le ciel encore trop parfait de l’Amérique.
Michel Legrand lui dédia Celui-là.
L’Empire perdait du sang.
Les géants ne s’écroulent jamais en une seule nuit
Des décennies, des siècles parfois.
L’azur se teintait de roses froides.
J’avais dix ans
L’été de ma première blonde
Tellement blonde celle-là
Que j’en oubliais les Black Panthers
Et le soleil qui cognait à ma fenêtre.
Elle vendait des frites
Mais mon cœur battait tellement fort pour elle
Que je n’entendais que lui,
Tellement qu’il enterrait
Le rythme des tambours des Indiens d’Amérique
Celui des vaudouisants dans les ghettos noirs,
Le vol agaçant des mouches,
La rage folle des marteaux-piqueurs,
Et les gargarismes des corvettes et des Harley Davidson.
Je n’entendais que lui pour ses yeux à elle
Et ses cheveux d’elfe.
Le temps de son absence me brisait les tempes
Mais j’avais appris l’art de réduire les distances
En la faisant apparaître chaque fois au bout de mes pensées
Mais que les ruelles et les rues avaient les jambes longues.
Qu’est-elle devenue ma vendeuse de frites?
Une agente d’immeuble ?
Une chirurgienne dentiste ?
Une poseuse d’ongles ?
Une pianiste ?
Lay Lady Lay me tourne toujours dans la tête
Et il me semble parfois que dans la logique
Des rendez-vous ratés et des avenues vierges
Hier est demain à deux mains!
Lug
Vous n'avez à vous libérer de rien d'autre que de vos pensées.
Voilà la vérité.
Et vous n'avez pas d'autre problème que celui de vos pensées.
Vous n'avez de problème,
ni avec votre patron,
ni avec vos enfants,
ni avec votre femme,
ni avec votre voisin,
ni avec votre propriétaire,
ni avec le maire de votre commune.
Vous n'avez qu'un seul problème:
un problème entre vous et vos pensées...
Arnaud Desjardins
Assieds-toi au bord du sentier
Et tu sentiras l'amitié de tous ceux qui cheminent,
Assieds-toi au bord de tes frères
Et tu recevras l'amour qui dort dans leur cœur,
Assieds-toi au bord du silence
Et tu entendras enfin au fond de toi.
Khalil Gibran
malgré le calme plat des jours précédents
Sur le pont quelques passagers demeuraient dans leurs transats
fumant bouquinant sirotant quelques rafraîchissements
mais le regard obstinément tourné vers l'horizon
Certains se tenaient au bastingage foulards au vent
retenant leurs chapeaux à deux mains
quand soudain l'un d'eux lança un cri d'alarme
"un homme à la mer"
Tous se précipitèrent renversant leurs plateaux au passage
perdant leurs chapeaux emportés par le vent bousculant
leurs compagnons
Voilà des semaines et des jours qu'il ne s'était produit un événement
qu'ils n'avaient vu âme qui vive ne pouvant accoster sur la terre ferme
La boussole du navire étant déréglée et la radio de bord n'émettant
que les grichements interrompus de quelques voix lointaines et inaudibles
Au loin un petit paquet blanc et étincelant sous le soleil apparaissait
à la crête des vagues tourbillonnant dans l'écume disparaissant du regard
et réapparaissant plus haut plus blanc et plus étincelant encore
Nos voyageurs en étaient tout éblouis
Ébahis ils fixaient cette chose ou corps flottant sans pouvoir
distinguer ce qui en retournait ni de l'anatomie ni de la morphologie
ni si vie ou mort l'habitait
La carène du navire fendait déjà les vagues dans sa direction
quand un membre de l'équipage vient rejoindre nos passagers toujours intrigués
et assemblés sur la passerelle
Ce dernier jeta un petit canot à la mer et plongea à sa suite ramant vers cette chose
si lumineuse qu'elle l'aveuglait presque
Avec maintes précautions le petit paquet fut déposé sur le pont en présence du Capitaine
D'un amas de mousseline de voile d'organza une fois déployé et libéré de ces rubans
et cordelettes émergea une merveilleuse robe sertie de nacre et de pierres de lune
aux coutures enchevêtrées d'algues violettes et pourpres
Un oiseau brodé de fil d'argent ornait son bustier
Elle portait encore son poids d'eau celui-ci ruissela jusqu'au pied du Capitaine
qui ordonna de la suspendre à la proue du navire là où le soleil couchant
dardait ses derniers rayons
Cette magnifique robe ne présentait aucun indice de sa provenance
excitant par le fait même l'imagination de tout l'équipage
Certains la photographièrent d'autres en tirèrent quelques esquisses
et aquarelles d'autres allumèrent des lampions à ses pieds et récitèrent
le rosaire mais personne ne se risqua à la revêtir
la taille en était si effilée rappelant celle des libellules de mer qui traversent
l'Océan Indien pour trouver l'amour
Sous le clair de lune elle apparut encore plus énigmatique à nos voyageurs
nimbée de songe de brise laiteuse et de parfum de conque
Ces derniers bercés par les vagues s'endormirent sur le pont ainsi qu'une partie de l'équipage
À l'aube ils furent réveillés par des cris et battements d'ailes impératifs
Des oiseaux blancs de mer qui annoncent le littoral
tournoyaient à la proue du bateau et fendaient l'air de leur appel du large
Mais oh surprise aucune trace de la sublime robe
seules quelques plumes parcelles de nacre et pierres de lune roulaient sur les planches
au rythme apaisé des vagues
Aucun vestige des voiles mousseline et organza
ne subsistait du vêtement de rêve sauvé des eaux
Sauvés des eaux nos voyageurs l'étaient tout autant
Sous la volière étincelante des oiseaux on apercevait déjà
le littoral Indien ses Temples ses Mosquées ses Portes
sa Magie...
Cygne blanc