mercredi 22 juillet 2020

Regard droit


Et pourquoi pas la joie ?
Au milieu de nos villes escaliers
Où les murs de parpaing suent du béton,
Où les fils électriques dessinent, sur les toits, des ciels d'araignées,
Et pourquoi pas la joie ?
Le temps d'une corde à sauter qui fait tourner le monde,
D'un ballon fatigué qui court de jambes en jambes
Et soulève la pauvreté dans les cris d'enfant,
Et pourquoi pas la joie ?
Les pieds dans l'immondice
Mais le regard droit.

Laurent Gaudé

samedi 18 juillet 2020

Sauvés des eaux


Depuis la veille la mer était houleuse

malgré le calme plat des jours précédents

Sur le pont quelques passagers demeuraient dans leurs transats

fumant bouquinant sirotant quelques rafraîchissements

mais le regard obstinément tourné vers l'horizon 

Certains se tenaient au bastingage foulards au vent

retenant leurs chapeaux à deux mains

quand soudain l'un d'eux lança un cri d'alarme

"un homme à la mer"

Tous se précipitèrent renversant leurs plateaux au passage

perdant leurs chapeaux emportés par le vent bousculant

leurs compagnons

Voilà des semaines et des jours qu'il ne s'était produit un événement

qu'ils n'avaient vu âme qui vive ne pouvant accoster sur la terre ferme

La boussole du navire étant déréglée et la radio de bord n'émettant

que les grichements interrompus de quelques voix lointaines et inaudibles


Au loin un petit paquet blanc et étincelant sous le soleil apparaissait

à la crête des vagues tourbillonnant dans l'écume disparaissant du regard

et réapparaissant plus haut plus blanc et plus étincelant encore

Nos voyageurs en étaient tout éblouis

Ébahis ils fixaient cette chose ou corps flottant sans pouvoir

distinguer ce qui en retournait ni de l'anatomie ni de la morphologie

ni si vie ou mort l'habitait

La carène du navire fendait déjà les vagues dans sa direction

quand un membre de l'équipage vient rejoindre nos passagers toujours intrigués 

et assemblés sur la passerelle 

Ce dernier jeta un petit canot à la mer et plongea à sa suite ramant vers cette chose 

si lumineuse qu'elle l'aveuglait presque

Avec maintes précautions le petit paquet fut déposé sur le pont en présence du Capitaine

D'un amas de mousseline de voile d'organza une fois déployé et libéré de ces rubans

et cordelettes émergea une merveilleuse robe sertie de nacre et de pierres de lune 

aux coutures enchevêtrées d'algues violettes et pourpres 

Un oiseau brodé de fil d'argent ornait son bustier 

Elle portait encore son poids d'eau celui-ci ruissela jusqu'au pied du Capitaine

qui ordonna de la suspendre à la proue du navire là où le soleil couchant

dardait ses derniers rayons

Cette magnifique robe ne présentait aucun indice de sa provenance

excitant par le fait même l'imagination de tout l'équipage

Certains la photographièrent d'autres en tirèrent quelques esquisses 

et aquarelles d'autres allumèrent des lampions à ses pieds et récitèrent 

le rosaire mais personne ne se risqua à la revêtir 

la taille en était si effilée rappelant celle des libellules de mer qui traversent 

l'Océan Indien  pour trouver l'amour

Sous le clair de lune elle apparut encore plus énigmatique à nos voyageurs 

nimbée de songe de brise laiteuse et de parfum de conque

Ces derniers bercés par les vagues s'endormirent sur le pont ainsi qu'une partie de l'équipage

À l'aube ils furent réveillés par des cris et battements d'ailes impératifs

Des oiseaux blancs de mer qui annoncent le littoral

tournoyaient à la proue du bateau et fendaient l'air de leur appel du large

Mais oh surprise aucune trace de la sublime robe

seules quelques plumes parcelles de nacre et pierres de lune roulaient sur les planches

au rythme apaisé des vagues  

Aucun vestige des voiles mousseline et organza

ne subsistait du vêtement de rêve sauvé des eaux 


Sauvés des eaux nos voyageurs l'étaient tout autant


Sous la volière étincelante des oiseaux on apercevait déjà

le littoral Indien ses Temples ses Mosquées ses Portes

sa Magie... 


Cygne blanc


jeudi 16 juillet 2020

Vivre l'expérience de l'art


Tout tient dans ces mots : porter à terme et enfanter. Laisser chaque impression, chaque germe de sentiment se développer en soi-même, dans l'obscurité, dans l'indicible, dans l'inconscient, dans une zone inaccessible à l'entendement et attendre avec une profonde humilité, une profonde patience, l'heure d'accoucher d'une nouvelle clarté; cela seul s'appelle vivre l'expérience de l'art : dans la compréhension comme dans la création.

Là, le temps ne peut servir de mesure, là, l'année ne compte pas et dix ans ne sont rien. Être artiste veut dire : ne pas calculer, ne pas compter ; mûrir comme l'arbre, qui ne presse pas sa sève et qui brave avec confiance les tempêtes du printemps, sans craindre qu'après elles ne vienne pas l'été. L'été viendra. Mais il ne vient qu'aux patients;, qui sont aussi sereinement tranquilles et ouverts que s'ils avaient l'éternité devant eux. Je l'apprends tous les jours, l'apprends au milieu de douleurs auxquels je rends grâce : la patience est tout.

Rainer Maria Rilke

mardi 14 juillet 2020

L’amour au temps de la covid-19


Je suis taillé pour le Far West. Alors moi les cas vides, ça me connaît. J’en profite pour me décharger. Covid-19, on dirait une marque de carabine. Ça sonne Remington, je ne sais pas pourquoi…N’empêche que le jour de la covid, je n’ai pas souffert de daltonisme et ma Mae West non plus qui m’a reconnu tout de suite dans le comptoir des pastèques, des bananes et autres fruits tropicaux. Il faut dire que nous étions tout à fait mûrs pour des vacances bien méritées. Vacances des media, de la production, de la circulation et de tout le tintamarre qui vient avec les hommes amoureux des chaînes. J’oubliais les masques… Moi habituellement quand je porte un masque, c’est pour violer une tire-lyre et vivre en suite…

Mais il y en a qui feront l’amour dans des sacs de polythène si la SS Santé publique le prescrit.

Donc le jour de la grande prescription, je me suis confiné avec ma belle pour socialiser avec les colibris tellement nous exhalions le nectar. Eh ma foi nous avons pris des couleurs. Beaucoup de couleurs printanières. Amenez-en des microbes, on les bouffe avec nos doigts de pieds. Nous avons redécouvert l’anal fait bête de nos voisins les singes qui retrouvent pouce par pousse un peu de la forêt qu’ils ont perdu depuis que les fous sont immobilisés sur la lige de tir des covid.

Par vagues successives, tantôt il n’y aura plus rien. Il ne restera que l’amour et la guerre comme ça toujours été les cas depuis que le monde est immonde. 

J’ai toujours pensé que l’amour était prospère en temps de guerre. Il me reste donc l’Ouest, les plaines infinies du couchant qui m’attend dans son haleine rose et bleue.

L’amour après la covid sera sous haute surveillance de Vénus et de Mars.

Lug

vendredi 10 juillet 2020

Transmission


Ce ne sont pas des contenus qu’il faut transmettre.

Les Dieux se rient de nos théories.

C’est une manière intense d’être.

Ce qui manque le plus à notre vie d’aujourd’hui, c’est cette intensité surgie de l’intérieur

C’est dans la rencontre de personnes vivantes qu’on en donne le goût. Chacun est dans une telle richesse ! Mais il faut que cette richesse soit réveillée.

La transmission, c’est cette attention portée à un autre qui fait qu’en lui surgit le meilleur de lui-même.

Christiane Singer

jeudi 9 juillet 2020

Poésie à hauteur d'homme


Je veux une poésie qui s'écrive à hauteur d'hommes. Qui regarde le malheur dans les yeux et sache que dire la chute, c'est encore rester debout.

Laurent Gaudé

vendredi 3 juillet 2020

Je ne savais pas


Je ne savais pas que les arbres marchaient 
au son de ta voix
Je ne savais pas que les fleurs buvaient
le vin de ta métamorphose
Je ne savais pas que des oiseaux dormaient
dans ton lit
Je ne savais pas que des papillons venaient mourir
entre les pages de tes recueils

Je ne sais pas si Orphée devra retourner
aux Enfers
Mais je sais que nous devons renaître
de nos Cendres
Je découvre aussi que le non-savoir participe 
à la création de toutes Choses

Je sais que seul on ne sait rien

Je réclame donc 
le baiser d'un Prince 
à l'école de la vie

Cygne blanc