jeudi 31 janvier 2019

Le jardin des anges

On sait que le sommeil des hommes est à nos anges visiteurs ce qu’un jardin est aux enfants. La raison et ses sentinelles ne gardent plus aucun portail. Ils peuvent donc entrer dans les esprits éteints avec leur lampe à rêves et jouer à leur gré.

Henri Gougaud

mercredi 30 janvier 2019

Sainte-Marie-au-Pays-des-Hurons


Il y a ici la mémoire d’un pays non assumé
Une brisure
Un collier de grains de maïs dispersés
Un appel au grand remembrement
De l’imaginaire et du réel morcelés
La permanence d’un crépuscule rouge
Qui n’en finit pas de saigner 
Sur le ciel en oriflamme de la licorne.

Il y a dans les entrailles de l’ancienne mission
Un Graal de sangs mêlés
L’alliance invisible du Christ et de Quetzalcóatl
Le sang d’une future nation métisse.

Dans chaque arbre qui se souvient
Un bâton de paroles.

Lug Lavallée, L’Aube métisse, 2002

mardi 29 janvier 2019

Attente

J'attendais pour te voir
mais tu n'es pas venu.
J'ai jeté notre histoire
sur rue de Parvenus.
En chemin j'ai trouvé,
des humbles, des balafrés.
Mon cœur s'est pris d'amour
pour ces gens sans atours.
J'ai fais d'eux mon arrêt ,
ma pause vers autre chose.

Viens t'habiller de moi
je m'habillerai de toi.
De notre nudité
nous ferons des manteaux
Où viendrons s'abriter
dix mille tourtereaux.

Lise Bujold (Lib)

lundi 28 janvier 2019

La nuit s'en est allée


La nuit s'en est allée. Où cela ? Où elle était.
Il est évident que tous les êtres reviennent chez eux.
Ô nuit, si tu t'en vas au lieu de notre rendez-vous,
Raconte de ma part dans quel état je suis.

Djalâl-Od-Dîn Rûmi

samedi 19 janvier 2019

Rocher blanc (Rimouski)


Présences de l’ancienne Irlande
Vigie des peuples amérindiens
Épaule ou tête courbée
De druide ou de chaman
Attendant la grande déglutition 
Dans le gosier usé du fleuve

Rocher blanc
Couché sut tes flancs
Vagues et nuages
Livrent leurs runes

Ici les oiseaux  savent
Et à tes pieds 
Les éperlans terminent
Leur voyage

Œuf du nord
Aux mystérieuses éclosions

Lug Lavallée, L’Aube métisse, 2014

vendredi 18 janvier 2019

L'ombre des amoureux

Si tu es loin de l'ombre des amoureux,
Le soleil te frappe et tu deviens malade.
Coure devant et derrière les amoureux, comme l'ombre
Afin de devenir la lune et le soleil pleins de lumière.

Djalâl-Od-Dîn Rûmi

mercredi 16 janvier 2019

Matawinie

Matawinie
Pèlerinages de montagnes et de vaux
Gencives décalcifiées
Dans l’écume virginale du ciel.

Troupeaux de cumulus
Qui s’éloignent doucement
Et rentrent dans les étables de l’oubli.

Mérisiers, hêtres et bouleaux blancs
Éclairant dans l’encre des nuits d’hiver
La procession silencieuse des conifères.

Matawinie
La charrue du cultivateur
La hache du bûcheron
L’arc du chasseur
Déposent leur peau de songe
Devant la fumée des calumets de paix
Des ancêtres autochtones nomades
La buée s’échappant des poitrines laurentiennes.

Lug Lavallée, L'aube métisse, 2016

mardi 15 janvier 2019

Poème vêtu de vers


Un poème vêtu de vers
verse verse le vermouth
le vert menthe
dans les coupes vermeilles
que le vertige nous hante

des anges de verre
traversent l'atmosphère
au revers du temps
la lumière d'hiver
tout en vertu

sous la verrière
le poème revolver
pointe l'univers
révolution à la verticale
du verbe adverse

un poème tout à l'envers
né de faits divers
en verlan
un jour de verglas
glas de verre
pour ce pervers
que l'on enterre  avec ses vers

sévère vous êtes sévère
se plaint le ver sous terre
je suis ce ver moulu
l'envers du cru
cet invertébré
ce déversé
ce verbe taire
ce ver-micelle priant
verset numéro vingt-sept

envers et contre-verse
que l'on verse le vermouth
le vert menthe
dans la coupe vermeille
de ce versatile
ce ver 
au sang vert


à la santé de Prévert
le poète Verseau

Cygne blanc

lundi 14 janvier 2019

Connaissance de soi

Tout l'univers est contenu dans un seul être humain : toi.
Tout ce que tu vois autour de toi, y compris les choses que tu n'aimes guère, y compris les gens que tu méprises ou détestes, est présent en toi à divers degrés. Ne cherche donc pas non plus Sheitan hors de toi. Le diable n'est pas une force extraordinaire qui t'attaque du dehors. C'est une voix ordinaire en toi.
"Si tu parviens à te connaître totalement, si tu peux affronter honnêtement et durement à la fois tes côtés sombres et tes côtés lumineux, tu arriveras à une forme suprême de conscience. Quand une personne se connaît, elle connaît Dieu."

Djalal-od-Rûmi

dimanche 13 janvier 2019

Sans titre


Nul besoin de forcer les portes
De panser les mots
D’habiller les ondes
Et d’ensemencer les pulsations
Il suffit d’élargir les champs magnétiques
En leur fournissant
Le cinabre du cœur
Au diapason des cristaux
Qui archivent les mémoires
Dans leurs gélules de soleils d’or.

Lug Lavallée, L’Aube métisse, 1996

samedi 12 janvier 2019

Éloge de l’immobile

La vie passe au-dehors et sa vitesse est celle de la lumière. Les deux mains sur un globe de papier transparent, contemplant les flocons d’encre noire qui tombent à l’intérieur, il épouse la vitesse plus considérable encore de la lenteur. Il regarde impassible les blocs de temps pur, venus d’un ciel sans profondeur : Éloge de l’immobile. Supplique du muet.

Les noms possibles du lecteur : Méditant par grand froid. Mâche-le-vent. Creuse-l’azur. Songe-blanc. Passeur. Hirondelle du ras de la page.

Christian Bobin

vendredi 11 janvier 2019

mardi 8 janvier 2019

Le retour du carcajou



Toutes avenues obstruées
J’erre dans des scénarios connus
Des déjà-vus déjà vus
Amanites tue-mouches et soma
Des fous et des dieux
Parsemés ici et là
Dans un sous-bois
Où plus personne ne vient
Sauf quelques écureuils volants
Quelquefois des coyotes errants
À la recherche de cerfs orphelins.

Loin des hommes et des femmes
Des troupeaux frileux et des meutes
Familier des contrées sans âmes
De l’odeur des peaux et des émeutes
Sans répits, je suis les pistes
Qui sentent l’urine des origines.

Toutes avenues obstruées
J’erre dans des scénarios  connus
Des déjà-vus déjà vus
Je suis maître des vertiges et des dérives
Maître des dérives et des vestiges
Maître des vestiges et des vertiges
Maître des vertiges et des vestiges
Maître des vestiges et des dérives
Maître des dérives et des vertiges
En équilibre au-dessus de deux rives.

Lug Lavallée, L’Aube métisse, 1996

lundi 7 janvier 2019

Pour de vrai


Arrière, le temps, arrière, l'espace,
Et tout m'est apparu à travers la nuit blanche :
Le narcisse, le cristal, sur la table,
La légère fumée bleue du cigare,
Et ce miroir où comme dans une eau pure
Tu pouvais désormais te mirer.
Arrière, le temps, arrière, l'espace...
Mais toi non plus, tu ne peux pas m'aider.

Anna Akmatova

dimanche 6 janvier 2019

Trace

Il fait bon ici : craquant, crissant,
Le gel, chaque matin plus dur,
Flamme blanche un buisson
D'éblouissantes roses de glace s'incline.
Et sur l'épaisse neige d'apparat,
Une trace de ski rappelle
Qu'il y a bien des siècles
Nous avons passé ici, toi et moi.

Anna Akmatova

jeudi 3 janvier 2019

Le temps du paysage


Montagnes râpées du Nord
Dans la voix d'estuaire de Miron
La sanctification du labeur et du sol
Dans le Verbe terreux de Grignon.

À l'Ouest vers les Hautes Laurentides
La nuit se remplit de la complainte des arbres
Abattus,
Tassés dans les convois criminels des trains routiers
Qui font grincer le paysage.

À l'Ouest, le soleil se couche incognito
Entre rouge-gorge et chevreuil
S’abandonne à la nuit des rapaces.

Là, le ciel s'affaisse plus lourdement qu'ailleurs
Et pond dans les lits des collines
Des étangs et des marais aux silences inquiétants
Extraits des solitudes stridentes de l'Hudson
Venu reprendre dans la noirceur de la nuit
Le trafic de ses fourrures.

Lug Lavallée

mercredi 2 janvier 2019

La chanson du pêcheur


Vieillard, je ne veux
que la paix.

Les choses de ce monde
n’ont pas de sens.

Je ne vois nulle bonne façon
de vivre et ne peux
m’empêcher de me perdre dans mes
pensées, mes antiques forêts.

Le vent qui agite les pins
desserre ma ceinture.

La lune des montagnes m‘éclaire
tandis que je joue du luth.

Vous me demandez : comment s’élève ou chute un homme en cette vie ?

La chanson du pêcheur s’écoule au plus profond du fleuve.

Wang Wei 王维 (701-761)