malgré le calme plat des jours précédents
Sur le pont quelques passagers demeuraient dans leurs transats
fumant bouquinant sirotant quelques rafraîchissements
mais le regard obstinément tourné vers l'horizon
Certains se tenaient au bastingage foulards au vent
retenant leurs chapeaux à deux mains
quand soudain l'un d'eux lança un cri d'alarme
"un homme à la mer"
Tous se précipitèrent renversant leurs plateaux au passage
perdant leurs chapeaux emportés par le vent bousculant
leurs compagnons
Voilà des semaines et des jours qu'il ne s'était produit un événement
qu'ils n'avaient vu âme qui vive ne pouvant accoster sur la terre ferme
La boussole du navire étant déréglée et la radio de bord n'émettant
que les grichements interrompus de quelques voix lointaines et inaudibles
Au loin un petit paquet blanc et étincelant sous le soleil apparaissait
à la crête des vagues tourbillonnant dans l'écume disparaissant du regard
et réapparaissant plus haut plus blanc et plus étincelant encore
Nos voyageurs en étaient tout éblouis
Ébahis ils fixaient cette chose ou corps flottant sans pouvoir
distinguer ce qui en retournait ni de l'anatomie ni de la morphologie
ni si vie ou mort l'habitait
La carène du navire fendait déjà les vagues dans sa direction
quand un membre de l'équipage vient rejoindre nos passagers toujours intrigués
et assemblés sur la passerelle
Ce dernier jeta un petit canot à la mer et plongea à sa suite ramant vers cette chose
si lumineuse qu'elle l'aveuglait presque
Avec maintes précautions le petit paquet fut déposé sur le pont en présence du Capitaine
D'un amas de mousseline de voile d'organza une fois déployé et libéré de ces rubans
et cordelettes émergea une merveilleuse robe sertie de nacre et de pierres de lune
aux coutures enchevêtrées d'algues violettes et pourpres
Un oiseau brodé de fil d'argent ornait son bustier
Elle portait encore son poids d'eau celui-ci ruissela jusqu'au pied du Capitaine
qui ordonna de la suspendre à la proue du navire là où le soleil couchant
dardait ses derniers rayons
Cette magnifique robe ne présentait aucun indice de sa provenance
excitant par le fait même l'imagination de tout l'équipage
Certains la photographièrent d'autres en tirèrent quelques esquisses
et aquarelles d'autres allumèrent des lampions à ses pieds et récitèrent
le rosaire mais personne ne se risqua à la revêtir
la taille en était si effilée rappelant celle des libellules de mer qui traversent
l'Océan Indien pour trouver l'amour
Sous le clair de lune elle apparut encore plus énigmatique à nos voyageurs
nimbée de songe de brise laiteuse et de parfum de conque
Ces derniers bercés par les vagues s'endormirent sur le pont ainsi qu'une partie de l'équipage
À l'aube ils furent réveillés par des cris et battements d'ailes impératifs
Des oiseaux blancs de mer qui annoncent le littoral
tournoyaient à la proue du bateau et fendaient l'air de leur appel du large
Mais oh surprise aucune trace de la sublime robe
seules quelques plumes parcelles de nacre et pierres de lune roulaient sur les planches
au rythme apaisé des vagues
Aucun vestige des voiles mousseline et organza
ne subsistait du vêtement de rêve sauvé des eaux
Sauvés des eaux nos voyageurs l'étaient tout autant
Sous la volière étincelante des oiseaux on apercevait déjà
le littoral Indien ses Temples ses Mosquées ses Portes
sa Magie...
Cygne blanc