samedi 18 juillet 2020

Sauvés des eaux


Depuis la veille la mer était houleuse

malgré le calme plat des jours précédents

Sur le pont quelques passagers demeuraient dans leurs transats

fumant bouquinant sirotant quelques rafraîchissements

mais le regard obstinément tourné vers l'horizon 

Certains se tenaient au bastingage foulards au vent

retenant leurs chapeaux à deux mains

quand soudain l'un d'eux lança un cri d'alarme

"un homme à la mer"

Tous se précipitèrent renversant leurs plateaux au passage

perdant leurs chapeaux emportés par le vent bousculant

leurs compagnons

Voilà des semaines et des jours qu'il ne s'était produit un événement

qu'ils n'avaient vu âme qui vive ne pouvant accoster sur la terre ferme

La boussole du navire étant déréglée et la radio de bord n'émettant

que les grichements interrompus de quelques voix lointaines et inaudibles


Au loin un petit paquet blanc et étincelant sous le soleil apparaissait

à la crête des vagues tourbillonnant dans l'écume disparaissant du regard

et réapparaissant plus haut plus blanc et plus étincelant encore

Nos voyageurs en étaient tout éblouis

Ébahis ils fixaient cette chose ou corps flottant sans pouvoir

distinguer ce qui en retournait ni de l'anatomie ni de la morphologie

ni si vie ou mort l'habitait

La carène du navire fendait déjà les vagues dans sa direction

quand un membre de l'équipage vient rejoindre nos passagers toujours intrigués 

et assemblés sur la passerelle 

Ce dernier jeta un petit canot à la mer et plongea à sa suite ramant vers cette chose 

si lumineuse qu'elle l'aveuglait presque

Avec maintes précautions le petit paquet fut déposé sur le pont en présence du Capitaine

D'un amas de mousseline de voile d'organza une fois déployé et libéré de ces rubans

et cordelettes émergea une merveilleuse robe sertie de nacre et de pierres de lune 

aux coutures enchevêtrées d'algues violettes et pourpres 

Un oiseau brodé de fil d'argent ornait son bustier 

Elle portait encore son poids d'eau celui-ci ruissela jusqu'au pied du Capitaine

qui ordonna de la suspendre à la proue du navire là où le soleil couchant

dardait ses derniers rayons

Cette magnifique robe ne présentait aucun indice de sa provenance

excitant par le fait même l'imagination de tout l'équipage

Certains la photographièrent d'autres en tirèrent quelques esquisses 

et aquarelles d'autres allumèrent des lampions à ses pieds et récitèrent 

le rosaire mais personne ne se risqua à la revêtir 

la taille en était si effilée rappelant celle des libellules de mer qui traversent 

l'Océan Indien  pour trouver l'amour

Sous le clair de lune elle apparut encore plus énigmatique à nos voyageurs 

nimbée de songe de brise laiteuse et de parfum de conque

Ces derniers bercés par les vagues s'endormirent sur le pont ainsi qu'une partie de l'équipage

À l'aube ils furent réveillés par des cris et battements d'ailes impératifs

Des oiseaux blancs de mer qui annoncent le littoral

tournoyaient à la proue du bateau et fendaient l'air de leur appel du large

Mais oh surprise aucune trace de la sublime robe

seules quelques plumes parcelles de nacre et pierres de lune roulaient sur les planches

au rythme apaisé des vagues  

Aucun vestige des voiles mousseline et organza

ne subsistait du vêtement de rêve sauvé des eaux 


Sauvés des eaux nos voyageurs l'étaient tout autant


Sous la volière étincelante des oiseaux on apercevait déjà

le littoral Indien ses Temples ses Mosquées ses Portes

sa Magie... 


Cygne blanc


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