dimanche 17 août 2014

J'ai dit à mon âme

Voir ci-dessous la version originale de ce poème de T. S. Eliot, dont voici d'abord ma traduction:

J'ai dit à mon âme, reste immobile et attends sans espoir
Car l'espoir serait un espoir pour la mauvaise chose ; attends sans amour
Car cet amour serait un amour pour le mauvais objet ; il y a encore de la foi
Mais toute la foi, l'amour et l'espoir sont dans l'attente.
Attends sans pensées, car tu n'es pas prêt pour la pensée :
Alors l'obscurité deviendra la lumière, et l'immobilité sera la danse.

Pour arriver à ce que tu ne connais pas
    Tu dois aller par un chemin qui est la voie de l’ignorance.
Pour obtenir ce que tu ne possèdes pas
    Tu dois aller par la voie de la dépossession.
Pour arriver à ce que tu n’es pas
    Tu dois passer par cette façon dans laquelle tu n’es pas.
Et ce que tu ne sais pas est la seule chose que tu sais
Et ce qui t’appartient est ce qui ne t’appartient pas
Et là où tu es est ce lieu où tu n’es pas.


I said to my soul, be still and wait without hope
For hope would be hope for the wrong thing; wait without love
For love would be love for the wrong thing; there is yet faith
But the faith and the love and the hope are all in the waiting.
Wait without thought, for you are not ready for the thought:
So the darkness shall be the light, and the stillness the dancing…

In order to arrive to what you don’t know
    You must go by a way which is the way of ignorance
In order to possess what you do not possess
    You must go by the way of dispossession.
In order to arrive to what you are not
    You must go through the way in which you are not.
And what you do not know is the only thing you know
And what you own is what you do not own
And where you are is where you are not.

T. S. Eliot, Four Quartets (extrait)

3 commentaires:

  1. Merci Jean pour cette belle citation traduite par tes soins.

    « Tu dois aller par la voie de la dépossession.» , affirme le poète.
    Ce n’est sans doute pas toujours facile...

    La profonde réflexion et la grande expérience de Marie-Louise von Franz me semblent également riches d’enseignement à ce propos :
    « De quelle façon l'inutilité de l'inconscient peut-elle donc être précieuse ?
    Dans un premier temps, l'inconscient est difficile à pénétrer; il est difficile de parvenir à son cœur. Plus tard, vous êtes nourri par lui, puis vous profitez des illuminations spirituelles que l'inconscient offre, ce qui produit en vous une certaine résurrection spirituelle. Plus tard, vous parvenez au stade suivant qui est l'expérience de l'inutilité de l'inconscient. Cela signifie que vous devez maintenant renoncer à l'idée de vous servir de lui dans des buts égotiques. C'est le sacrifice qui consiste à ne plus chercher à tirer profit de la relation avec l'inconscient. Cela vient assez tard dans une analyse, parce que, naturellement, chaque analysé apprend d'abord à compter sur l'inconscient pour en retirer un bénéfice, comme de guérir de sa névrose, recevoir un avis sur un problème non résolu, et ainsi de suite. Mais, après un dialogue de longue durée avec l'inconscient, un jour vient où vous devez laisser tomber tout cela et arrêter de traiter l'inconscient comme une mère qui vous conseille ce que vous avez à faire. Si vous continuez à penser : « Je n'arrive pas à me décider, je vais demander à l'inconscient de le faire à ma place », celui-ci vous donne des conseils ambigus, et vous pensez : « L'inconscient m'a trahi, il m'a déçu. »
    Jung disait toujours que plus longtemps quelqu’un avait été en analyse, pendant de nombreuses années, plus, s’il persévérait, les rêves devenaient difficiles et compliqués. ......................................................................................Le rêve peut prendre alors un caractère d'énigme cryptique. Mais si vous parvenez à pénétrer le sens de ces rêves apparemment inutiles, vous découvrez qu'ils ne sont pas en relation avec un éclairage intérieur, mais avec le simple fait d'être; ils n'enseignent ni une connaissance intérieure ni à réaliser quelque chose, mais à exister : ils se contentent d'enseigner à vivre.
    Le meilleur parallèle ou la meilleure illustration que j'en connaisse se trouve dans le bouddhisme zen, dans la série bien connue des dix illustrations de L'apprivoisement de la vache. Après la grande illumination, la dernière image est celle du satori ; on y voit un vieil homme avec sa sébile qui parcourt le marché en mendiant et la légende dit : « II a oublié les dieux, il a oublié l'illumination, il a tout oublié, mais, où qu'il aille, lés cerisiers fleurissent. » Cela signifie que, d'une certaine manière, il est redevenu complètement inconscient. Un maître zen dit un jour : « Après l'illumination, vous pouvez aussi bien entrer dans une auberge et vous enivrer, vagabonder et vivre une vie ordinaire, oublier tout de nouveau. » Mais, évidemment, cet oubli n'est pas une régression. Ce n'est pas simplement un retour à l'inconscience précédente. C'est un degré de plus. C'est un progrès dans l'inutilité taoïste, le « simplement exister ». Tout l'aspect intellectuel de l'analyse, le fait de rechercher sans cesse les lumières et les instructions de l'inconscient, disparaissent dans une grande mesure. Ce serait la cible la plus haute, si bien que je pense qu'il est juste qu'elle soit inutile, et, en même temps, d'une inutilité qui est un accomplissement supérieur à celui des stades précédents. » Marie-Louise von Franz, " LA PRINCESSE CHATTE ", chapitre VII : Le retour,
    Éditions La Fontaine de Pierre.

    Amezeg

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    1. Encore un grand merci ! Cette question de l'inutilité de l'inconscient est particulièrement cruciale, peut-être le piège dans lequel s'embourbe tous les utilitarismes, et donc notre monde moderne, quand il est question de l'inconscient. Je crois pour ma part que le moine zen qui a finalement apprivoisé la vache (et que certaines représentations montrent avec une bouteille de vin sur la place du marché :) n'est pas "redevenu complètement inconscient" mais qu'il est immergé dans ce qu'il est convenu d'appeler la "pleine conscience". Mais je dis cela moins pour alimenter une discussion sur les mots que pour souligner qu'à ce point, seul le paradoxe saurait rendre justice à ces choses.

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  2. M.L.von Franz dit bien : « Cela signifie que, D'UNE CERTAINE MANIÈRE, il est redevenu complètement inconscient. »
    Lorsque la vache est tout à fait domestiquée il n’est sans doute plus nécessaire de la tenir à l’œil avec la même acuité laborieuse du regard. La symbiose ou sympathie entre la vache et le vacher, autrement dit la mise en phase durable de ces deux-là, est peut-être ce que l’on pourrait nommer pleine conscience durable. "Cela" trouverait alors de soi-même le juste chemin dans le dédale des circonstances et des tribulations de l’existence.
    Et si Dieu veut : meeeuuh ! :-)

    Amezeg


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