mardi 23 juillet 2019

Le cheval inventait sa race


Variante sur un vers de Hénault

Du chuchotement des steppes d’Asie centrale
Où tu fus, tour à tour, cavalier et voyant
Le Maître incontesté de la terre et du vent
Des sources d’eau, du feu et du soleil levant
Ignorais-tu l’horizon, l’autre continent,
Des races différentes, les visages pâles ?

Chez les Yakoutes ta peau devint dialogue
Entre les hommes et leurs dieux aux trots du cœur
Tambours de pluie, de tonnerre et de frayeurs
Ils t’ont parqué dans le corral d’un Décalogue.
À Haïti, l’homme devient cheval  quand les loas
Le chevauchent, lui dictant les anciennes lois.

Le cheval inventait sa race 
Et croyant effacer ses traces,
Celles des servitudes au temps de Gengis Khan,
Il oubliait Attila, les Huns puis la chute de Rome.
Ignorant encore qu’en Amérique
 Seuls, les bisons avaient survécu à ses ancêtres
Disparus entre Paléolithique et Néolithique.

Le cheval inventait sa race
Une race coagulée dans le sang,
Aux ombilics de fils d’argent
Dérobés aux oboles des lunes de minuit.
Une race qui oubliait l’Ibérie et la France
Et les cavalcades des guerriers thraces.

 Dans ton cœur conçu pour les grands espaces,
Savais-tu que tu servirais de monture aux conquistadors?
Pressentais-tu l’immense déchirure
 Dans le ciel de Tenochtitlan,
L’effroi dans les regards
Les tiens et ceux des grands prêtres de Moctezuma
Convaincus du retour du Dieu serpent ?
À ton insu, tu renouais avec le goût du sang 
Et la folie des hommes.

Plus tard, traversant le Rio Grande
Le cheval donna naissance à une race infâme
Aussi Apaches et Navaho l’adoptèrent 
Dans l’espoir d’allonger la crinière de leurs déserts.
Puis balayant la poussière des Plaines
 Faisant écran à la vision de La Femme Bison
Il allait conquérir le Nord 
Avec sa race de métis et de bâtisseurs,
De nomades aimants des grands espaces,
De sédentaires aux regards apaisés de pacages.

Mais le cheval domestiqué ignorait-il son déclin?
Aurait-il renié sa race
S’il avait su tous les arbres abattus 
Pendus à l’horizontal 
D’un océan à l’autre
Et qu’il serait remplacé dans cette nouvelle déchirure du ciel
Par le bruit et la fureur du train
Création d’une race de vitesse aux veines
Qu’il serait relégué à l’oubli
Avec l’avènement des chevaux de métal
Et des Pégases d’acier sillonnant le ciel
Effrayé comme jadis le furent les Aztèques ?

Mustang, marron dans le ciel bleu et les cheveux ocre des Prairies,
Amené pour le sang et l’argent de l’Eldorado et du soleil couchant,
Après les basiliques construites sur les puits des déesses,
Après les silences de Pacha Mama, de Coatlicue
Et d’Estsanatlehi, la Mère des changements chez  les Navahos,
Tu redevins sauvage,
Tu rejoignis les troupeaux de cumulus dans l’or des Plaines.

Appaloosas, révoltés contre le maître blanc,
Adoptés par les Nez-percés
Dans une commune réduction du ciel et du territoire de rêve,
Canadiens de selle rivés à la culture des champs en Nouvelle-France,
Cherokees intimement liés à la résistance contre l’ordre yankee
Vos muettes colères hantent les ronronnements des turbines et des échines.

Chevaux, bientôt, vous reprendrez du service
Cheval blanc à l’appel du Premier des Quatre Vivants,
Cheval rouge feu au service du cavalier venu bannir la paix,
Cheval noir du Jugement et de la Justice,
Cheval vert de marécage monté par la Mort
Suivi d’Hadès venu récolter la moisson de la putréfaction.

Maintenant dans les yeux toujours  effarouchés du cheval 
L’approche croissante du galop 
Des montures de la fin des climats et du Temps!

Lug Lavallée

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