Un homme voit le Mulla Nasrudin passer sur son âne et l'interpelle:
- Je te vois bien fringant, Nasrudin. Où vas-tu ?
- Hé, l’ami, je pars en voyage !
- Sur ton bel âne ? C’est risqué. Les brigands
infestent les routes. Ils pourraient bien te le voler.
- Tu crois vraiment ? Tu me fais peur !
- Prends donc mon épée, dit l’ami. Tu pourras au moins
te défendre si viennent des malandrins.
- Grand merci, frère. Sois béni !
Le Mulla Nasrudin s’en va sur son âne, en sifflotant, son arme
au poing. Le voici au bord du désert. Personne à l’horizon qu’un
homme qui s’approche à grands pas de lui. « Par Allah, se dit Nasrudin,
sa mine me paraît suspecte. Il est plus poussiéreux que moi. Assurément, c’est
un voleur. » Dès qu’il est à portée de voix :
- Halte-là ! Parlons, soyons simples.
Et brandissant haut son épée :
- Tu vois cette arme magnifique ? Je te la donne,
elle est à toi. Mais tu ne me prends pas mon âne.
L’innocent voyageur accepte. « Drôle
d’aubaine ! » se dit-il. Il prend, remercie mille fois. Nasrudin
s’éloigne, content sur sa trottinante monture. « Mon ami, pense-t-il,
avait cent fois raison. Rien de mieux qu’une épée pour conserver son
âne. »
Henri Gougaud, L’Almanach