(Fable de la
vache folle)
Il était une
fois dans une vaste prairie balayée en permanence par de forts vents du
sud ouest, une pauvre vache laitière à la robe blanche tachetée de noir prénommée
Hortense.
La pauvre vache
meuglait à pie fendre. Pas la moindre petite brindille à brouter. Que des
lichens et des cailloux, qu'elle avait déjà léché plus de cent fois avec sa grosse
langue fissurée. Même les mouches n'osaient plus s'aventurer sur ses bouses
rachitiques et dures comme du ciment au sortir de son anneau pylorique irrité.
Quand on sait
qu'une vache normale mastique en moyenne de cinquante à soixante dix fois par minute
et qu'elle maintient ce rythme effréné pendant des périodes de dix à douze
heures d'affilé pour un grand total de quarante à quarante-cinq mille
mouvements de mâchoires par jour, on ne peux que plaindre la pauvre Hortense, réduite
à quelques mastications éparses au gré d'hirsutes touffes de mauvaises herbes
rencontrées in sine qua non au fil d'errances éperdues.
Cependant que
dans le pâturage voisin du sien séparé par un minuscule fil électrifié, un
tendre ruisseau glougloutait, dévalait l'abrupt d'une riche prairie semé de pâquerettes
et de myosotis en fleurs saturés de pollen que libellules et bourdons
survolaient non sans euphorie, à la fois grisés et béats. Des humaines nues y
jouaient de la harpe en chantant du Céline Dion tout en sautillant et gambadant
allègrement, la brise jouant dans leurs poils pubiens.
Hortense, notre
pauvre vache, ne pouvait que constater _ et ce constat la mettait il va sans
dire à la torture_ que l'herbe du voisin ainsi que le vieil adage le dit, était
vraiment plus verte que celle de son
pâturage. Comme elle aurait aimé s'en repaître jusqu'à en avoir les pis
gonflés, que Fernand, le fermier, de ses grosses mains couvertes de verrues
plantaires vienne lui tirer sur les trayons jusqu'à l'en vider de
son lait.
Heureusement, à
la sortie du lit, le matin même, elle avait eu le loisir de se sustenter, surprenant
un loup qui rôdait à l'entour des bâtiments, elle avait plongée dessus du
deuxième de l'étable et l'avait dévoré à belles dents alors que dans l'aube
naissante l'écho cacophonique des clochers des villages des alentours s'emmêlaient
dans l'air tiède et gorgé des odeurs de la défécation subite du loup qu'une
peur sauvage avait étreint au moment où la mort lui décochait cet irrésistible
dernier clin d’œil. Waouuu ! Comme hurlait l'autre, son cousin de meute, pris quelques kilomètres plus bas dans un
piège à ours. Un waouuu cependant vagit du bout d’une pensée, jamais poussé.
Vache qui rit,
vache qui pète, vache qui fume la cigarette. Hortense n'était pas vache à se laisser
abattre, elle ne finirait pas sur le gril graisseux d'un BBQ au propane de
banlieue en hamburger avec une tranche de cheddar fondant sur le dos. Un jour
se serait son tour. La vie n'était pas faite que de vacheries. MeuuuH non !
Ce jour là elle
regarda bien dix trains passer avant de se décider et de sauter dans un
des wagons, galopant un moment, la langue pendante, à côté de la voie, avant de
prendre son élan et de bondir dedans, quittant définitivement sa terre de
misère, son fermier trayeur myope et puant des aisselles.
Voilà, en peu de
mots circonscrite, l'histoire de la vache qui se levant du mauvais sabot,
dévora un loup avant de se faire la malle pour le pays des sacs à main et des
souliers compensés en cuir véritable.
On raconte que
depuis ce matin-là l'herbe a repoussé dans la vallée où habitait
Hortense, que monarques et frelons se confondent en virevoltes et autres
acrobaties aériennes, que des hommes nus, vieux et bedonnants, à la voix
éteinte, tentent de convaincre les femmes nues de l'autre bord de la clôture de
venir prendre une tasse de café et des petits fours au babeurre à l’ombre de
leurs balancelles.
On
raconte bien des histoires, par exemple on prétend que dans la mièvre semence
de ces vieillards grisonnants et bedonnants il y aurait certaines toxines qui
développées dans un utérus sain risquerait de contaminer la planète d'un
nouveau virus encore plus dévastateur que le sida, et qui ferait pousser des
poils de culs au cerveau. Entretenue en un milieu humide exceptionnel, cette
pilosité cérébrale aura tôt fait de se
propager aux cordes vocales, travestissant la parole en un espèce de borborygme
non sans rappeler un meuglement. Meuuuh non !
Pierre Cinq-Mars