samedi 30 juin 2018

Rencontre


La rencontre est le but et le sens d'une vie humaine. Elle permet qu'on ne la traverse pas en somnambule. Quand mes yeux se fermeront, ils le feront sur une immense bibliothèque constituée par des visages qui m'auront ému, troublé, éclairé. Un visage est éclairant quand un être est bienveillant et qu'il est tourné vers autre chose que lui-même. Le soin qu'il prend de l'autre, l'illumine, le rend vivant. Il capte une lumière et la renvoie. C'est quelque chose de rare. La richesse de cette vie est faite surtout de visages et de quelques paroles.

Christian Bobin

vendredi 29 juin 2018

Je perds pied


Je perds pied
comme une échappée
envoûtée de transparence

les volutes dérobées des cheminées
tracent à l'encre noire
le travail d'une ville
sur les rails quotidiennes

je perds pied
comme une échappée
envoûtée de transparence

sur les rails de la ville poussent
des hommes des femmes
des enfants
des animaux  des arbres où
la fleur la prière
l'oiseau
tracent dans l'innocence bleutée
le soleil de demain
comme une échappée

Cygne blanc

jeudi 28 juin 2018

Chiffon rouge

Il n'est qu'un jour et qu'une nuit, toujours recommencés depuis le début de l'éternité. Ils ne semblent multiples que parce que nous en sommes absents, nous tenant au bord du gouffre qu'ils dessinent comme un équilibriste sur son fil contemplant la chute vertigineuse dans laquelle il s'abolira tôt ou tard. Pourtant, quand tu poses tes lèvres sur les miennes, c'est toujours le matin et quand tu te détournes de moi, le crépuscule revient. Quand tu danses devant moi sans voiles, il est midi et quand je te cherche partout sans te trouver, je me perds dans mon propre minuit. Quoi, que dis-tu mon Aimée ? Ah ! Je devrais me taire au lieu de livrer ainsi nos secrets en place publique. Mais tu le sais bien : mes mots sont le chiffon rouge que j'agite devant le taureau du silence.

mercredi 27 juin 2018

Agnosia


Quelque chose cherche à naître.  Mais je ne sais pas ce que c'est. Je ne pars jamais d'un savoir. Il n'y a pas de savoir possible. Le vrai n'est pas un savoir.

Bram Van Velde

mardi 26 juin 2018

Grain de sable


Voir le monde dans un grain de sable,
Un ciel dans une fleur des champs,
Retenir l'infini dans la paume des mains
Et l'éternité dans une heure.

William Blake

dimanche 24 juin 2018

Feu du matin


Sur le bord de la route, un vaillant coquelicot — dont le poète a beau jeu de nous rappeler qu'il est trace de l'amour non-né sur terre — tente sa chance. Pourquoi ne capterait-il pas, après avoir tout bravé, dont la promesse de l'ombre de ne jamais le quitter, un éclat du soleil de ton sourire pour briller à la vie, tendrement fugitif ? Il y a quelque chose de la nuit dans ton regard qui m'incite à y plonger pour trouver la perle, et quelque chose du matin sur ta bouche, que je ne peux m'empêcher de cueillir.

samedi 23 juin 2018

Loups de vie


Ce ne sont pas les livres qui m'intéressent mais ce dont les livres sont la trace. C'est cette trace qui m'intéresse, et le passage qu'elle dit, la traversée d'une vie vivante, déchirante de vie vivante, le passage des loups de vie dans les forêts du monde. La littérature, je m'en fous.

Christian Bobin

vendredi 22 juin 2018

L'étoile a pleuré rose

L'étoile a pleuré rose au cœur de tes oreilles, 
L'infini roulé blanc de ta nuque à tes reins ; 
La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles 
Et l'Homme saigné noir à ton flanc souverain.

Arthur Rimbaud

jeudi 21 juin 2018

mercredi 20 juin 2018

Approcher l'épice


Cesse de croire que tu es ce que tu penses. Tu n’es pas ce que tu penses. Cesse de réduire ton être à la dimension de ton crâne. Le sentir seul peut approcher l’épice. Sers-toi de tes yeux, de tes oreilles, de ton goût, de ton odorat, de tes mains. Respire, respire, et laisse-la entrer.

Henri Gougaud, Les sept plumes de l'aigle

mardi 19 juin 2018

L'amour qui nous fonde


Cette puissance infiniment supérieure à l'homme et qui – mystère vertigineux – n'est agissante sur terre qu'à travers l'homme qui l'accueille ou le corps qui l'incarne, cette puissance ou mieux cette présence ineffable et fragile, c'est l'amour qui nous fonde.

Christiane Singer

lundi 18 juin 2018

Soleil levant de l'invisible


Bien avant d'être une manière d'écrire, la poésie est une façon d'orienter sa vie, de la tourner vers le soleil levant de l'invisible.

Christian Bobin

dimanche 17 juin 2018

Douleur du monde

Sais-tu entrer dans la douleur 
   du monde de toute ton âme,
Pareil au papillon de nuit
   se jetant dans la flamme ?

François Cheng

samedi 16 juin 2018

Gestation essentielle

Porter jusqu'au terme, puis mettre au monde, tout est là. Chaque expression, chaque germe de sentiment, le laisser mûrir en soi, dans l'obscurité, dans l'indicible, l'inconscient, ce qui est inaccessible à l'entendement.

Rainer Maria Rilke

vendredi 15 juin 2018

Rencontre de la beauté

Beauté, je me porte à ta rencontre dans la solitude du froid. Ta lampe est rose, le vent brille. Le seuil du soir se creuse.

René Char

jeudi 14 juin 2018

Neuve partance

Le Vide. C'est alors qu'au fond de soi
S'ouvre à nouveau la Voie qui du Rien
Avait fait naître le Tout, où la vie
Vécue se découvre en neuve partance.

François Cheng

mercredi 13 juin 2018

Simplicité du ciel


Aux enfants on apprenait jadis 
que Dieu est dans le ciel. 
Mais qui leur apprendra que le ciel est sur terre , 
partout étincelant dans les choses simples ?


Christian Bobin

mardi 12 juin 2018

Vie intégrale


Mais plus que mode de connaissance, la poésie est d’abord mode de vie - et de vie intégrale. Le poète existait dans l’homme des cavernes, il existera dans l’homme des âges atomiques parce qu’il est part irréductible de l’homme. 

Saint-John Perse

lundi 11 juin 2018

Silence qui parle

Le silence parle aussi. Mais si on ne sait pas être silence au-dedans, on ne pourra jamais entendre le silence qui parle.

Henri Gougaud

dimanche 10 juin 2018

Voir la vie

Seuls les artistes et les enfants voient la vie telle qu'elle est.

Hugo Von Hofmannsthal

samedi 9 juin 2018

Pour le baiser définitif


Je t’ai cherchée 
Dans tous les regards, 
Et dans l’absence des regards, 
Dans toutes les robes, dans le vent,
Dans toutes les eaux qui se sont gardées, 
Dans le frôlement des mains, 
Dans les couleurs des couchants,
Dans les mêmes violettes,
Dans les ombres sous les hêtres, 
Dans mes moments qui ne servaient à rien,
Dans le temps possédé,
Dans l’horreur d’être là, 
Dans l’espoir toujours
Que rien n’est sans toi, 
Dans la terre qui monte
Pour le baiser définitif, 
Dans un tremblement
Où ce n’est pas vrai que tu n’y es pas.


Guillevic

vendredi 8 juin 2018

Marche en avant



Il y a, dans notre marche en avant, quelque chose du désir amoureux, de la curiosité de l’amour, même quand nous recherchons la solitude de la forêt ou le calme des sommets ou une plage vide sur laquelle vient s’échouer la frange argentée d’une mer bruissante. Il y a quelque chose de très doux dans toute rencontre solitaire, même s'il ne s'agit que de la rencontre avec un grand arbre isolé ou un animal de la forêt, qui sans bruit s'arrête et nous fixe dans l'obscurité. Je crois que la vraie pantomime érotique, dans ce qu'elle a de décisif, ce n'est pas l'étreinte mais la rencontre.

Hugo Von Hofmannsthal

jeudi 7 juin 2018

Manque d'air

Salvador Dali : prémonition de la guerre civile

Le temps soudain se resserre et voilà que je manque d'air ; l'espace me fuit et je tombe dans mon propre vide. Il n'est rien là, plus même de flacon où enfermer l'ivresse - il n'est plus rien là que moi, tout nu, assujetti à mon miroir.

mercredi 6 juin 2018

La terre


La terre se secoue
de tous ses océans
de tous ses feux
de ses quartz
de ses anges

la terre tremble
de tous ses êtres
de ses vivants de ses morts
de ses mort-nés de ses mort-vivants
de ses colombes

la terre appelle le secours
de ses lunes de ses étoiles
de son phénix
ses nuits sont désormais plus longues
que ses jours

le soleil lui a offert sa dernière extase

Cygne blanc

mardi 5 juin 2018

Aube d'une nouvelle clarté


Tu dois donner naissance à tes visions. Elles sont faites du futur qui attend sa naissance. Ne crains pas le sentiment étrange qui t'habite. Le futur doit vivre en toi bien avant qu'il ne survienne. Tu n'as qu'à attendre la naissance, l'aube d'une nouvelle clarté.

Rainer Maria Rilke

lundi 4 juin 2018

Pas à pas

Je ne sais où je vais mais j'y vais d'un pas lent qui prend le temps par la main, l'embrasse doucement, le rend à la caresse du vent. Il n'est rien là devant moi que les remugles inéluctables du passé qui cherchent à nous retenir en falsifiant demain, et la danse des ancêtres qui prête vie aux ombres grinçantes. J'aurais aimé que tu m'accompagnes jusqu'à l'extrémité acérée de cette solitude qu'on appelle existence : comme un ponton de bois qui avance au milieu de l'océan houleux, elle prend pied au cœur du mystère, nous invitant à plonger. Avec toi, cela aurait été facile de mourir puisque de toute façon, c'est là que nous irons, au rendez-vous que nous a fixé depuis toujours l'immensité patiente, souriante.

dimanche 3 juin 2018

Danse des libellules


L'amour est le miracle d'être un jour entendu jusque dans nos silences, et d'entendre en retour avec la même délicatesse, la vie à l'état pur, aussi fine que l'air qui soutient les ailes des libellules et se réjouit de leur danse...

Christian Bobin

vendredi 1 juin 2018

Rien à quoi s'aggriper


Le maître se donne
à tout ce que l'instant apporte.
Il sait qu'il va mourir,
et rien ne lui reste à quoi s'agripper : 
pas d'illusions dans l'esprit,
pas de résistances dans le corps.
Il ne réfléchit pas à ses actions : 
elles jaillissent de la profondeur de son être.
Il ne refuse rien de la vie ;
ainsi est-il prêt pour la mort,
comme un homme est prêt à dormir,
après une bonne journée de travail.

Tao-Te-King (adaptation par Stéphen Mitchell)