Je
suis un âne. J’ai le bonheur rare d’être un âne. J’ai de grandes oreilles
poilues qui frémissent au moindre murmure, un doux pelage brun que seul caresse
le vent, une queue pour chasser les mouches et des sabots qui m’emmènent aussi
loin que je puisse désirer. Je suis rétif au licol, et je réserve mon fameux
"coup de pied de l’âne" à ceux qui veulent m’attacher…
D’aucuns croient qu’il faudrait
m’apprivoiser, me civiliser un peu. Je braie de rire à leur approche. Quand ils
essaient de me monter, je les désarçonne. À la carotte qu’ils me tendent, je
montre mon postérieur. Le bâton qu’ils lèvent sur moi, je le mange. Il n’y a
pas d’enclos hors duquel je ne puisse sauter, dans la pure joie d’être qui ne
se laisse pas saisir.
Je suis plus libre que la liberté
elle-même car j’ai abandonné ce concept, et tous les autres qui le suivaient
comme perles enfilées. Quand il ne reste plus personne pour être libre, qui
parlera de liberté ?
Par là, je rejoins mon ami le Cerf
Fugitif…
Seul un enfant nouveau-né peut sur mon
dos trôner comme un prince portant enfin la fraîcheur du Nouveau au monde. Moi
l’âne, je garde le temple de la discrète, je protège la virginité des choses et
des êtres telle qu’au premier matin, et je m’offre en humble porteur du Roi de Justice. Je connais le secret de la Rose
mystique qui consacre l’âne au service de la Beauté.
Ne me le demandez pas, je ne saurais
que vous rire au nez…